Chronique

Sculpture et Jazz

Alain Kirili

Autoportrait

Label / Distribution : Stock

Les 260 pages de Sculpture et Jazz, d’Alain Kirili, datent de 1996. Ce n’est donc pas une nouveauté. Mais il est fort possible que ce livre soit passé quelque peu inaperçu, ce pourquoi il m’a semblé utile d’y venir, sinon d’y revenir. Sur la couverture on devine, plus qu’on ne voit, Cecil Taylor lové dans les bras d’aluminium d’une création d’Alain Kirili, au festival d’Uzeste Musical en août 1995 (photo Yvan Lavallée). J’y étais et m’en souviens fort bien, autre justification pour en écrire quelques lignes.

J’avais été fort surpris par ce début de concert, où Cecil Taylor était apparu d’abord dansant, puis se glissant sous les lignes des sculptures présentes sur scène, finissant par se tenir assis devant un piano qu’il avait soigneusement fait vibrer cinquante minutes durant, déclenchant des applaudissements au moins aussi vigoureux que la façon qu’il avait eue d’attaquer ce piano forte. Concert d’autant plus mémorable que je ne devais jamais le revoir « live ».

Ce fut d’ailleurs, avant la présence devenue régulière d’Archie Shepp, le dernier invité africain-américain du festival, et même à vrai dire le dernier invité de grand renom tout court. Toute la Gironde s’était d’ailleurs donné rendez-vous sous le chapiteau, et l’ambiance festivo-bordélique habituelle au lieu avait fait place à un recueillement parfaitement religieux. Dans l’après-midi, Cecil Taylor avait répété au moulin voisin, et Guy Le Querrec en avait rapporté quelques images définitives mais pas encore développées, et des commentaires élogieux et très développés, eux, sur la façon dont Cecil envisageait son travail. En gros, détricotage à vitesse lente de ce qui allait être joué le soir à vitesse rapide.

Le livre d’Alain Kirili, écrit dans la foulée de cette expérience, revient sur ce qui a précédé dans sa vie de sculpteur installé à New York, et sur une petite partie de ce qui a suivi. En clair, il effectue la restitution d’une expérience renouvelée avec des personnalités aussi différentes que Steve Lacy, William Parker, John Coltrane, Albert Ayler, Ornette Coleman, Don Cherry, la Knitting Factory, etc., qui à chaque fois se déroule de façon différente tout en mettant en jeu le rapport entre deux champs artistiques différents.

Ce qui m’a retenu dans cette lecture récente, c’est que cette question du rapport entre les arts, souvent évoquée, jamais traitée de façon sérieuse, est ici exprimée dans une langue simple, qui part d’une vérité d’expérience pour tenter d’en faire surgir une autre. Kirili n’est pas sémiologue, ni quoi que ce soit de ce genre, mais il restitue, au plus près de sa propre difficulté à œuvrer, ce qu’il en est de ces rencontres. On y trouvera nulle révélation, nulle lumière particulièrement vive sur des questions très complexes, mais une redondance de sentiments qui prouve que ce qui peut se mettre en acte n’a souvent pas besoin des mots pour opérer. Alors oui, une bonne lecture.