Chronique

Boulou & Elios Ferré

The Rainbow of Life

Boulou Ferré (g), Elios Ferré (g), Alain Jean-Marie (p), Gilles Naturel (cb)

Label / Distribution : Bee Jazz

Avant tout, la pochette attire l’œil. On n’est en effet guère habitué à voir ainsi réunis les frères Boulou et Elios Ferré, Alain Jean-Marie, le pianiste ancien accompagnateur d’Abbey Lincoln et Dee-Dee Bridgewater qui a su marier ses racines antillaises et ses influences be-bop, et enfin Gilles Naturel à la contrebasse. Le résultat est donc à la hauteur de l’ouverture d’esprit et de l’écoute des musiciens ; les aficionados du manouche pur et dur retrouveront leurs repères mais entrouvriront également des portes vers des horizons nouveaux.

L’éclectisme du disque se manifeste en premier lieu par le choix des morceaux : deux compositions de Lennie Tristano, une adaptation de la chanson de Barbara « Dis, quand reviendras-tu ? », la fameuse « Marche de Sacco et Vanzetti » d’Ennio Morricone, le morceau titre « Rainbow of Life » composé par Elios Ferré, le standard « Avant de mourir » pour honorer les racines tziganes…

Mais au-delà de cet inventaire à la Prévert, les interprétations du quartette forment elles aussi un étonnant mélange entre tradition manouche et tiraillement des nombreuses influences : la Ballade de Sacco et Vanzetti est l’occasion d’une longue introduction sur laquelle le son de la guitare évoque un clavecin, et où plane l’esprit de Bach ; ce dernier reviendra hanter le finale du morceau, qui s’attarde comme une oraison funèbre appuyée par la contrebasse jouée à l’archet. Le positionnement du morceau dans l’album est à lui seul audacieux : il suit en effet le très be-bop « Ice Cream Konitz », au sein duquel on retrouve les traits habituels du style manouche : la pompe, le tempo, les questions-réponses d’un frère à l’autre, et en outre la prouesse technique du thème, exposé en duo parfait par les deux guitares à l’unisson. Prouesse renouvelée dans l’interprétation du « 317 East 32nd » de Tristano.

Les frères Ferré peuvent néanmoins faire faux-bond à leurs chorus manouches en s’aventurant dans des gammes moins caractéristiques, comme dans « Topsy », soutenues par les block chords d’Alain Jean-Marie. L’esprit manouche n’est alors plus porté que par le son des guitares Favino. Au contraire, le pianiste peut à son tour s’aventurer sur le terrain de prédilection des deux frères, comme dans « Lennie-Bird », peut-être la plus belle pièce du disque : cette composition de Lennie Tristano est l’occasion d’une longue et lente ouverture basée sur la grille harmonique de « How High the Moon » ; le thème du morceau de Tristano est ensuite exposé sur un infernal rythme be-bop, mais toujours avec un accompagnement de ballade. Ensuite seulement viendront les cadences effrénées et les chorus véloces.

On reproche parfois aux musiciens de ne pas prendre de risques, de ne pas aller explorer les limites de leur terra incognita, de se satisfaire des frontières qui bordent la maîtrise de leur domaine. C’est encore plus flagrant dans le jazz manouche, qui englobe à la fois un style musical bien précis et une communauté de personnes. De ce fait, on ne peut qu’être particulièrement attentif et sensible aux tentatives abouties de diversification et d’ouverture à d’autres influences, comme celles que nous propose ici le quartette des frères Ferré.