Chronique

Ted Curson

Live at the Sunside

Ted Curson (tp, fg, voc), Alain Jean-Marie (p), Gilles Naturel (b), Phlippe Soirat (d), Pierrick Pedron (as), Guillaume Naturel (fl), Julie Saury (perc), Daiva Starinkaite (voc), Ferhat Öz (voc), Evrim Özsuca (voc), Jaanika Ventsel (voc), Sylvia Howard (voc)

Label / Distribution : Marge

Pour ses deux concerts au Sunside (Paris) les 30 et 31 août 2006, Ted Curson avait mis sur pied une formation à géométrie variable assez surprenante (par son line-up et par l’interprétation de standards qui nous enchantent toujours) mais dans le bon sens du terme.

Ce trompettiste américain connu pour avoir joué avec Charles Mingus et Eric Dolphy (Antibes 1960) et qui a aussi accompagné Mal Waldron, Philly Joe Jones, Cecil Taylor ou Max Roach s’est entouré sur ce double live du gotha du bebop français, avec entre autres Alain Jean Marie, Pierrick Pedron (en plein rayonnement depuis son album avec Mulgrew Miller et particulièrement survolté lors de ces deux soirs), Gilles Naturel et Philippe Soirat. On notera tout particulièrement la performance efficace et lumineuse de la percussionniste Julie Saury. La musique se situe dans le registre de la candeur, de l’originalité et de la sincérité, avec de très bonnes tourneries et un groove maîtrisé. Ces éléments réunis proposent tout au long du disque une musique pleine de fraîcheur.

Ted Curson n’est pas un musicien qui mêle performance technique et volonté d’« innovation ». Pour autant, ce n’est pas non plus un vieux briscard qui se contente de tourner avec sa formation, sans véritable investissement. Au contraire, il nous livr avec honneur et vénération de bons vieux standards et quelques compositions bien trempées, le tout orchestré à grand renfort de voix et une solide section instrumentale complète. On sent qu’il réunit ici beaucoup d’éléments issus de son expérience et de ses découvertes, et cela transparaît dans sa musique.

Outre son métier de musicien, Ted Curson est aussi investi dans le business du jazz en tant que promoteur ou producteur. C’est probablement ce qui l’a conduit à recruter quatre jeunes chanteurs et chanteuses de jazz d’origines culturelles très variées (Lituanie, Estonie, Turquie) remarqués lors d’un concours international alors qu’il faisait partie du jury. Tous sont bons, mais on recommandera en particulier les interventions de la Turque Evrim Özsuca, dont le timbre est particulièrement envoûtant. A ces voix s’ajoute celle, profonde, de la belle Sylvia Howard, qui nous émerveille (« Georgia On my Mind ») par la modernité de son chant.

Sans emphase, pas toujours juste et pas crooner pour deux sous, Curson lui-même chante à son tour. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas une nouveauté. Comme il nous l’explique : « Lors d’un enregistrement en studio, j’ai eu un problème de santé qui m’a rendu aveugle un certain temps : je ne pouvais plus lire les partitions de trompette. Mais il fallait boucler le CD, alors je me suis mis à chanter ». Sur quoi il ajoute sans craindre d’exagérer : « Avant, quand je jouais de la trompette sur un disque, j’en vendais deux exemplaires ! Dès que je me suis mis à chanter, j’en ai vendu des millions ! »

Ce personnage très « grounded » voue un vrai culte au jazz — son histoire, sa musique et ses personnages, avec sans doute une certaine humilité. Son jeu de trompette est sans fantaisie mais souple, rond, plein d’émotion et non dénué de technique.

C’est donc avec passion et humour qu’il réussit ces deux concerts au Sunside, hétéroclites, amusants et entraînants : « Cantaloupe Island », bel hommage à Mingus) avec « Reava’s Waltz », un doo wap sur « Blueberry Hill », du scat sur « Cherokee », une très belle et émouvante ballade, « Tears for Dolphy », composée par lui, un swing/gospel sur « Piima Boogie »… Enjoué, varié, ce live enchante quand on l’écoute… et quand on le chante !