Chronique

Brad Mehldau

Suite : April 2020

Brad Mehldau (p).

Label / Distribution : Nonesuch / WEA

On n’a pas fini de parler de l’épidémie de Covid-19, toujours vivace à l’heure où nous écrivons ces quelques lignes. Mais au-delà du bouleversement sociologique et économique, au-delà des angoisses propagées à grande vitesse dans le monde entier, tout ceci sur fond d’incertitudes et de vérités assénées par des milliers d’épidémiologistes révélés et autres « responsables » politiques, quand il ne s’agissait pas d’une falsification élaborée à grand renfort de fake news, il a bien fallu continuer à vivre. Dans des conditions variables, certes, entre misère pour les uns et confort retranché derrière de hautes grilles pour d’autres. Ainsi va la marche de notre monde néolibéral et son processus atavique de distanciation sociale…

Comme nous tous ou presque, Brad Mehldau a connu le confinement. Chez lui, comme chez tant d’autres musiciens reclus, l’expérience aura été propice à la création et ce n’est pas sans un certain plaisir qu’il a bien voulu nous confier la clé de son domicile où est née durant le mois d’avril une Suite : April 2020 en douze brefs mouvements. Car nous sommes bien chez lui, avec lui : on se souvient d’avant la pandémie, on garde ses distances, on réfléchit, on est à l’écoute, on fait quelques pas au-dehors, on cuisine en famille, on chante une berceuse, on s’inquiète parfois mais l’espoir demeure. C’est une tranche de vie qui, loin d’être triste, se présente sous la forme de confidences amicales.

Il faut juste attendre et faire preuve de patience. D’un point de vue formel, le pianiste ne se la joue pas virtuose. Le temps semblant ne plus avoir d’importance et s’étirer à l’infini, Mehldau s’avère au bout du compte économe de sa musique, chaque note semblant soupesée au fil d’une déambulation méditative en courtes étapes. Bien sûr, Bach n’est jamais très loin, on entend même s’esquisser le thème de la « Rhapsody in Blue » chère à Gershwin… Et pour conclure, le pianiste s’offre trois reprises chargées de sens. Signé Neil Young, « Don’t Let It Bring You Down » est pour lui une précieuse consolation quand le doute s’installe. Billy Joel et « New York State of Mind » sont également convoqués, histoire de célébrer une ville de cœur transfigurée par la maladie. Et pour finir, un standard signé Jerome Kern en forme de lueur d’espoir : « Look For the Silver Lining ».

Cette balade aux côtés de Brad Mehldau séduit en ce qu’elle fait écho au trouble du monde, peut-être aussi parce que, comme lui, il nous aura fallu reconsidérer nos vies et réfléchir à demain. Elle ne donne aucune réponse aux questions posées par la pandémie. Elle est juste là, présente et porteuse de vie, dans toute sa simplicité. Gardons-la précieusement près de nous, parce qu’il se pourrait bien qu’un jour, bientôt, nous ayons besoin de la retrouver et d’y puiser encore un peu de sa bienfaisante énergie.