Chronique

Simon Goubert

nous verrons…

Simon Goubert (dms, kb), Annie Ebrel (voc), Mike Ladd (voc), Pierre-Michel Sivadier (voc), Stella Vander (voc), Michel Edelin (fl), Vincent Lê Quang (sax), Sylvain Kassap (cl), Sophia Domancich (p), Emmanuel Bex (org), Hélène Labarrière (b).

Label / Distribution : Ex-Tension

Être là où on ne vous attend pas forcément. Rappeler que la musique exprime la vie et que trois notes peuvent parfois suffire à vous nourrir. Se souvenir que le silence aussi peut être musique. En publiant nous verrons… sur le label Ex-Tension de ses amis Stella Vander et Francis Linon, Simon Goubert étonne une fois encore. Lui le batteur du foisonnement, ébahi dans son enfance rennaise par le jeu de Kenny Clarke et vite pris sous l’aile volcanique de Christian Vander, met cette fois la voix au centre du jeu. Ce n’est pas nouveau chez lui : l’idée trotte dans sa tête depuis des années et on se souvient aussi de tout le travail qu’il avait accompli en tant que pianiste au sein des Voix de Magma dans les années 90.

La voix ou plutôt les voix, subtilement choisies et bien distinctes. Ayant grandi en compagnie des grands noms de la chanson (Brel, Piaf, Reggiani, Barbara) mais pour autant pas metteur de textes en musique et encore moins chanteur, le batteur a travaillé dans le calme de sa maison à la campagne avant de transmettre à ses chanteurs des maquettes finement élaborées. Charge à eux d’y introduire leurs univers respectifs. Ici le chant breton cérémoniel d’Annie Ebrel sur des textes de Pierre-Jakez Hélias, là le flow tourmenté du slammeur Mike Ladd. Ou encore la poésie existentielle de Pierre-Michel Sivadier, portée en grande partie par la voix aérienne de Stella Vander.

Simon Goubert, compositeur inspiré et méditatif, est ici un batteur discret qui laisse lorsqu’il le faut toute la place à ses musiciens dans ce qui, malgré la diversité des formes, s’apparente à du jazz vocal, avec sa structure thème/solo/thème. nous verrons…, album au tempo souvent calme, n’est pas plus un disque de chanson qu’il n’est un disque de batteur. Ici, chaque soliste dispose d’un temps d’expression suffisant pour laisser la musique s’éprendre de liberté, nous rappelant ce que lui-même aime dire : « Le thème ou la composition ne doit pas être plus important que ce que vont en faire les solistes ». Citons-les tous : Michel Edelin, Sylvain Kassap, Vincent Lê Quang, Emmanuel Bex, Hélène Labarrière et bien sûr, Sophia Domancich. Amoureux de leurs imaginaires, Goubert leur a par ailleurs octroyé plusieurs instants d’improvisation qui prennent la forme d’interludes inspirés par le souvenir des partitions qu’il leur avait demandé de jouer. Il s’est accordé lui-même un solo de batterie court, à peine plus d’une minute. Et ce n’est qu’une fois accompli live le travail des voix et des instruments durant six jours de studio qu’il en a peaufiné la production, y consacrant tout le temps nécessaire pour donner naissance à un objet musical aussi singulier qu’émouvant et recueilli.

Alors on écoute nous verrons… en comprenant à chaque instant que Simon Goubert offre en partage ce qu’il a de plus précieux : son chant intérieur, son âme. Un cadeau qui n’a pas de prix, ou peut-être celui de la vie.

nous verrons… est aussi un album précieux dans la mesure où il n’a pas vocation à être joué sur scène, ce qu’explique Simon Goubert dans l’entretien qu’il nous a accordé. Ici, le disque n’est pas à comprendre comme un objet promotionnel destiné aux programmateurs, mais comme l’aboutissement d’un long processus et d’une réflexion personnelle. Celle qui le conduit à suffisamment d’humilité pour penser qu’il n’est capable de bien jouer que depuis quelques années seulement. Et de prendre le temps de construire, patiemment, sa musique en quête de la note juste. Tout en sachant que le batteur garde en tête pour les temps à venir toute l’énergie du jazz avec lequel il s’est construit depuis l’adolescence.

Surtout, quelle que soit son activité au cours des mois à venir, on pourra venir et revenir encore à son nous verrons… dont les beautés, détachées des effets du temps, se livrent à nous jour après jour.