Chronique

Branford Marsalis Joey Calderazzo Duo

Branford Marsalis (s) ; Joey Calderazzo (p).

Label / Distribution : Marsalis Music

Il y a un moment que Songs of Mirth and Melancholy, le duo constitué par Branford Marsalis et Joey Calderazzo, s’attarde à la fois dans ma tête et dans le lecteur CD. Dans la très grande discographie de Branford Marsalis (26 albums sous sa signature depuis 1984), on trouve assez peu de pianistes. Il y eut le très fidèle Kenny Kirkland, depuis Scenes of the City (1984) jusqu’à sa mort en 1998 et le posthume Requiem, sorti l’année suivante. Il y eut bien entendu Ellis Marsalis, avec qui il avait signé un premier et jusqu’alors unique duo, Loved Ones, en 1995, dans un registre proche de Songs of Mirth. Il y eut également Herbie Hancock, Mulgrew Miller, Kenny Baron et James Williams mais chacun de manière très ponctuelle. On a donc ici un album cosigné qui s’inscrit dans un double héritage : celui des pianistes de Marsalis, et Loved Ones, qui a forcément été un élément de comparaison.

Mélancolie…

C’est un beau disque. Pourtant, à première écoute il ne semble pas compter parmi les œuvres majeures de l’aîné des frères Marsalis. Peut-être parce que la première plage, « One Way », n’est pas de bon augure : elle sonne presque comme un ragtime sur lequel il vaut mieux passer rapidement pour mieux profiter des suivantes, belles et émouvantes. En réalité, c’est moins la musique - au demeurant très agréable - de Songs of Mirth and Melancholy qui pose problème que le titre de l’album lui-même. Placé à la fois sous le signe de l’allégresse et de la mélancolie, il promet des impressions puissantes dans un registre comme dans l’autre. D’ailleurs, côté mélancolie, « The Bard Lachrymose », qui sonne comme une pièce de musique de chambre, s’étire avec une peine feinte qui lui confère une couleur noire très expressive. Le jeu de Joey Calderazzo fait parfois penser à Satie. « La valse Kendall » est de la même eau. Ses phrases doucement dépressives vous installent dans un spleen très prononcé. Tout évoque « le roi d’un pays pluvieux »…

Espoir ?

On filera sans attendre vers la plage 7, « Hope », pour voir ce qu’il en est de la joie, qu’on associe plus spontanément à l’espoir. Le morceau est beau et on imagine qu’il peut, en concert, séduire le public. En revanche, il n’évoque en rien l’espoir, et encore moins l’allégresse ; on y verrait davantage un pluvieux lundi de novembre : tempo lent, phrases réduites au strict minimum… Peut-être ne faut-il pas se faire une idée trop restrictive de la joie ? Pourtant, même en approfondissant, en acceptant que l’espoir ne soit pas nécessairement générateur d’atmosphères festives, il est presque impossible d’en apercevoir une lueur dans cette musique de ciel bas, de froid, d’introspection. C’est très beau, mais il faut attendre le dernier quart pour que la composition, qui dure presque 9 minutes, s’éclaire un tant soit peu. Mieux vaut alors se tourner vers « Bri’s Dance », qui clôt l’album. La danse, c’est peut-être là que se trouve l’allégresse ? Le mouvement, en tout cas. Ce morceau plus enjoué se déroule sur un tempo qui file à toute allure, comme les doigts des musiciens, mais n’est pas franchement hilarant pour autant.

L’album est donc une réussite pour la moitié de son énoncé, celle qui concerne la mélancolie, ici puissante et fort à propos - à l’image de la pochette, recto et verso. J’en veux pour exemple « Die Trauernde » et son départ évoquant le brillant « Se dolce è il tormiento » de Monteverdi ; on ne saurait mieux signifier (surtout dans la version de Paolo Fresu et Uri Caine), tristesse et profond désespoir. En revanche, il ne faut pas attendre de ces Songs of Mirth and Melancholy la confrontation deux sentiments antagonistes. Tout y est, exclusivement, noirceur et affliction.