Chronique

Cannonball Adderley

Burning In Bordeaux, Live In France 1969

Julian « Cannonball » Adderley (as), Nat Adderley (tp), Joe Zawinul (p), Victoir Gaskin (b), Roy McCurdy (d).

Label / Distribution : Elemental Music

Le virtuose du saxophone alto Julian « Cannonball » Aderley devait ce soir-là déployer toutes les facettes de son art, faisant osciller son instrument entre velléités symphoniques par un timbre orchestral et tentations chambristes, rappelant presque les vibrations d’un violoncelle. Sans oublier bien évidemment un sens du blues illustré par un usage toujours savamment dosé des scories essentielles des racines des musiques afro-américaines. Entendre le saxophoniste expliquer au public girondin, dans une ville où la mémoire de l’esclavage est alors un tabou, que « Walk Tall » n’a rien à voir avec le fait de traverser un passage piéton ou le fait d’être grand de taille, et que c’est bel et bien un appel aux Afro-américains à relever la tête, voilà qui procure, plus d’un demi-siècle plus tard, une sensation de jubilation narquoise.
Dans un même ordre d’idées, « Why Am I Treated So Bad », ce manifeste jazz soul contre la ségrégation et le racisme, a comme des effluves de revanche sociale dans l’ancien port négrier - où, paradoxalement, le seul « blanc » de la bande, Joe Zawinul au piano électrique, assure un supplément d’âme funk serti de fugaces traits impressionnistes issus de son patrimoine européen.

Même si le leader se fait souvent pédagogue, il lâche la bride avec délectation à son frère, Nat Adderley, trompettiste bop et lyrique dont la voix de preacher prend des accents prophétiques. Des tentations expérimentales se déploient tout au long de ce concert, comme sur un « Manhã do Carnaval » qui prend ici tout le sens de son titre anglophone (« A Day In The Life Of A Fool ») : quelle mouche pique donc le pianiste pour qu’il esquisse des propositions orientalisantes dans une introduction qui n’aurait pas lieu d’être, ou bien le saxophoniste pour jouer « out », voire « contre », si ce n’est le désir de s’émanciper des codes établis pendant que le contrebassiste prend à l’archet un solo d’une délicatesse infinie ? « Mercy Mercy Mercy », lui, ne part pas de rien et devient une sorte d’anti-gospel suintant de désir. Le batteur, désormais seul survivant de l’orchestre, donne aux propositions hard-bop des échos perturbateurs, tout en conservant un sens du timbre d’une grande douceur. Encore un trésor exhumé des archives de l’INA par Zev Feldmann, « Mr Jazz Detective », pour notre plus grand ravissement.