Chronique

Wallace Roney

Blue Dawn-Blue Nights

Wallace Roney (tp), Emilio Modeste (ts, ss), Oscar William II (p), Paul Cuffari (b), Kojo Odu Roney (dm), Lenny White (dm), Quintin Zoto (g)

Label / Distribution : High Note Recordings

A l’heure où nous écrivons cette chronique, nous apprenons le décès de cet immense trompettiste que fut Wallace Roney, des suites du COVID-19, à l’âge de 60 ans. Ces quelques lignes pourraient donc être considérées comme un hommage. Le vieux briscard avait su, sur ce vingt-deuxième et ultime opus en tant que leader, s’entourer de jeunes pousses (le contrebassiste n’a que 20 ans ; le batteur, son neveu, est âgé de… 15 ans !).

Les maladresses touchantes dans la prise de son (le disque est pourtant enregistré au mythique studio de Rudy Van Gelder dans le New Jersey) incitent à l’entendre comme un live. En particulier, les plages réunissant deux batteurs, dont l’invité Lenny White - qui joua avec Miles Davis sur « Bitches Brew » et avec Chick Corea période « Return to Forever » - ne procurent pas l’émotion attendue. Dommage. Pourtant, les compositions du pianiste et du saxophoniste sont, elles particulièrement riches en harmonies, permettant au trompettiste de développer des phrases d’une vigueur poignante, teintées de l’urgence mélancolique d’un Booker Little notamment.

C’est que l’on a trop souvent rabaissé Wallace Roney au rang d’héritier de Miles. Ce dernier ne lui avait-il pas offert une trompette, et ne l’avait-il pas convié sur scène lors d’une de ses dernières prestations, dont l’historiographie jazzistique officielle n’a retenu qu’une humiliation ? Or sur ce dernier album, Mr Roney fait preuve d’un lyrisme sans faille (et l’on se rappellera qu’Ornette Coleman l’avait sollicité en lieu et place de Don Cherry). Avec un grain de trompette très vocal, une densité dans les graves qui font de lui un authentique bluesman, il fait montre d’une pudeur poétique alliée à une précision rythmique (son compagnonnage avec Art Blakey au sein des Jazz Messengers ou avec Tony Williams, au sein entre autres des populaires VSOP, n’y est certainement pas pour rien) que pourraient jalouser bien de ses contemporains, en ces temps de domination post-bop. Et puis être retenu par l’Histoire du jazz comme le fils putatif de Miles est loin d’être infâmant. La version de « Dont’ Stop Me Now », composée par le batteur de Toto que le Dark Magus révérait, est ici délestée de ses apories jazz-rock pour prendre les atours d’une délicate esquisse, comme un présent à l’éternel Jazz.