Le chef d’orchestre et flûtiste Christophe Dal Sasso, après avoir revisité le Africa/Brass de Coltrane en big band, s’est lancé dans un défi similaire avec les Three Quartets de Chick Corea à la tête d’un orchestre superlatif. Le pianiste new-yorkais décédé en 2021, bien qu’il eût sombré dans les affres de la scientologie dès le début des années 70, n’en reste pas moins l’un des compositeurs les plus prolifiques du jazz moderne. Son propos était en 1981, année d’édition des titres originaux (avec Michaël Brecker au sax ténor, Eddie Gomez à la contrebasse et Steve Gadd à la batterie), bien loin des délires sectaires : il s’agissait de restituer l’essence d’un quatuor à cordes dans des esthétiques baroque, classique, romantique et impressionniste avec des pièces dédiées à Ellington et Coltrane (Stretch Records).
Dal Sasso s’est saisi de cette matière pour la rendre symphonique. Au piano, Pierre de Bethmann se fond avec grâce dans le programme collectif, s’appropriant les éléments de langage musical originaux pour dérouler des soli d’une infinie profondeur, quand il n’appuie pas par des voicings aux décalages furtifs les chorus de ses partenaires.
Et quels partenaires ! Pour invoquer les mânes de Brecker, pas moins de trois soufflants : Stéphane Guillaume, David El-Malek et Rick Margitza - le seul, dans l’orchestre de douze musiciens, à avoir joué avec Corea. Les trois rivalisent de flamboyance dans leurs chorus, appuyés par des traits d’orchestre débordants de générosité. À ce trio, ajoutons la flûte qui confère à l’ensemble une légèreté bienvenue. Sans compter les chorus de trompette ou de trombone, tous plus flamboyants les uns que les autres. Si les musiciens ici réunis sont sous quelque emprise que ce soit, il s’agit d’une excellence jubilatoire à revivifier un répertoire qui, à leur niveau d’exigence, a quelque chose d’un graal. Coltrane, Corea… qui sera le prochain à se voir infliger le traitement musical du maestro Dal Sasso ?

