Scènes

Jazz en Sol Mineur en pleine croissance

Portrait de la 14e édition du festival de Gréasque


Parfois les petits villages de l’arrière-pays provençal cachent des bijoux de propositions festivalières. Ainsi en va-t-il de « Jazz en Sol Mineur » à Gréasque, qui donnait sa quatorzième édition au cœur de ce qui fut le bassin minier des Bouches-du-Rhône, marqué par l’identité des damnés de sous-la-terre et bien décidé à embrasser l’universel swing !

Les discours de la directrice artistique et des édiles locaux n’ont pas manqué de le rappeler, mais force est de constater que les univers jazzistiques proposés transcendent tous les particularismes.

Ainsi, la présence du Christine Lutz Quartet a-t-elle illuminé la seconde soirée de cet événement estival. La Nîmoise pratique la harpe, instrument rare dans les musiques de jazz. Elle se délecte d’en présenter les mystères avec pédagogie pour le public essentiellement villageois. Surtout, elle conjugue cette pratique au temps du swing manouche, tradition gardoise oblige !
Leader d’un quartet nanti d’un batteur au time redoutable, son mari Thierry Lutz, elle entremêle avec délices références à un jazz hispanisant (le « Spain » de Chick Corea est ici un incontournable, sur lequel le contrebassiste Olivier Lalauze fait des merveilles) et standards de Django Reinhardt (impressionnante livraison de « Indifférence », avec un passage du 3 temps au 4 temps en rupture avec les a priori « musette » qui collent trop souvent à ce morceau), sans négliger les héritiers du géant tzigane (« Djangology » de Raphaël Faÿs). Sans l’apport du compositeur de « Minor Swing » (ici donné avec des 4/4 avec la batterie, manière de rompre avec la domination « guitaristique » qui est la marque de cet incunable) et d’autres membres des communautés rrom, le jazz eût-il été une musique européenne ?
Une seule composition personnelle hélas, dans la mesure où la formation est récente… on attend le prochain enregistrement avec impatience.

Christine Lutz Quartet

La dernière soirée du festival s’ancre dans la vie villageoise, avec un set hard bop des plus convaincants proposé par Pannonica Quintet, emmené par le sémillant saxophoniste ténor Jean-Charles Parisi. Puis, dans le Parc du Château, vient le tour du Trio Azzurro. Le batteur est attendu comme le messie puisqu’il ne s’agit de nul autre que… Aldo Romano.

Bien sûr, il ne pouvait que chanter (merveilleusement bien) « Estate » (ah l’éternelle ritournelle avec son insistance sur « tornera »…) mais c’est surtout par son jeu de batterie qu’il propulse ce petit all stars expérimental dans la voûte étoilée. Il « joue loin », comme il signale avoir tout le temps cherché à le faire dans son autobiographie intitulée « Ne joue pas fort, joue loin » : il va chercher les ultimes vibrations sonores de son instrument ainsi que celles délivrées par ses complices. A cet égard, son jeu tellurique à la grosse caisse vaut toutes les basses du monde pour un trio qui en est dépourvu.
Parfois, le guitariste nîmois Gérard Pansanel prend le relais dans les graves par son jeu polyphonique et polyrythmique, donnant à sa six-cordes des atours orchestraux, ou bien se lovant dans les rebonds de la batterie sur un des ces calypsos férocement rollinsiens dont il a le secret. Quant à Doudou Gouirand, son jeu de saxophone alto post-bop flirtant sans cesse avec le free donne des frissons par sa gracieuse fragilité. Ce proche de Don Cherry lui rend hommage dans un émouvant « Art Déco » et s’immisce dans le tribal en chantant un blues amérindien déchirant, s’accompagnant d’une percussion cree, cependant que le guitariste et le batteur déterrent la hache de guerre !

Grâces soient rendues aux organisateurs (notamment la dynamique pianiste Elisabeth Pellegrin) d’avoir réussi à déplacer ce modeste mais émouvant moment de jazz sur un autre weekend que celui du Charlie Jazz Festival voisin ! On prend date pour 2017.

par Laurent Dussutour // Publié le 6 novembre 2016
P.-S. :

On ne confondra pas le festival provençal avec son homonyme à Hussigny !