Chronique

The Liberation Music Collective

Siglo XXI

Jess Henry (tp, lead) & orchestre

Label / Distribution : Ad Astrum Records

Dans la famille « big bands revendicatifs », je voudrais… les enfants ! Charlie Haden eût été comblé par la force contemporaine de cet orchestre, fondé par des étudiants en jazz d’Indianapolis. Le Liberation Music Collective porte les revendications de la génération « Occupy Wall Street », de la même manière que le Liberation Music Orchestra était le porte-voix jazz des opposants à l’Amérique impériale des années soixante-dix jusqu’aux années 2000.
Musicalement, les emprunts aux folklores qui font la diversité musicale des Etats-Unis sont bien là, si ce n’est que, maintenant, ils sont à l’intérieur des frontières, qu’il s’agisse des musiques latines - magnifique « El Viento » - ou des musiques arabes – superbe « Bismillah », comme un appel à reproduire Taksim à Manhattan - voire des musiques asiatiques – splendide ballade introductive « Murasaki », en hommage à une poète nippone du Xe siècle… Également présent, le détournement de l’hymne guerrier « War Department » en manifeste pacifiste avec force incursions free sur lesquelles plane un trombone, instrument emblématique des fanfares militaires, désormais déserteur. Plus que de bégaiements de l’histoire, il conviendrait ici de parler de prédictions autoréalisatrices, tant ces jeunes gens, musicalement et spirituellement menés par un couple manifestement musulman, donnent aux préoccupations environnementales et aux rapports de genre des traitements musicaux libertaires. Les riffs de cuivres se développent sur des chorus, dénotant une appétence pour le swing, et finissent dans des escapades débridées avec le soliste, parfois laissé seul comme pour mieux articuler l’individuel et le collectif.

Et quand Hannah Fiddler, maîtresse contrebassiste, rappe sur l’hymne féministe « Herstory », elle entraîne l’ensemble dans une transe émancipatrice. Hélas, le sombre constat d’une perpétuation du racisme « étasunien » comme « dilemme américain », avec force samples de Malcom X, sur des tensions funk, dans le titre « Black and Red » (clin d’œil à « Black and Blue », premier thème de jazz antiraciste), révèle à quel point cette histoire bégaie et finit par étouffer… « I can’t breathe ».
Mais foin de ce pessimisme de la raison : l’optimisme de la volonté jazz l’emporte avec le lancinant « Hymn of the 99 % », ballade crépusculaire pour un Grand Soir.
Gageons que ce nouvel ensemble connaîtra la postérité de son illustre prédécesseur !

par Laurent Dussutour // Publié le 31 janvier 2016
P.-S. :

avec : Joe Anderson (tp), Matt Riggen (tp), Sean Weber, Felipe Brito, Brennan Jones (tb), Matthew Setzler (as), Sam Motter (ts), Durand Jones (bs, cor), Ben Lumsdaine (dm), Joe Tucker (g), Evan Main (p), Hannah Fiddler (b, voc), Kristin Olson (perc), Cole Stover (chequere)