Chronique

Christofer Bjurström

Ecume de mai

Christofer Bjurström, p

Label / Distribution : MZ Records

Nourri par l’image, Christofer Bjurström produit et cultive avec succès des ciné-concerts dans lesquels il colore de ses compositions des films muets du XXe siècle ; des « musiques de scène et d’onde », terme qu’il affectionne pour décrire son immersion dans l’univers du texte ; des carnets de voyages (le superbe album Carnet de Croquis d’un Voyageur Immobile paru en 2008), en d’autres termes un art de butiner, formule qui n’a rien de péjoratif puisqu’il s’agit de cumuler les formes littéraires, cinématographiques et musicales pour lesquelles le pianiste nourrit une passion dévorante. Cet éclectisme musical pourrait le soustraire de la famille des jazzmen s’il n’était doué d’un grand sens de la narration improvisée.

Dans Écume de mai, nouvel album solo, il prouve une fois encore son talent de conteur, aux contours nets et sans emphase, au cœur de l’émotion même bizarre ou déplaisante, car la vie d’un musicien n’est pas un long fleuve tranquille. C’est d’ailleurs depuis le cœur d’un printemps 2020 confiné que le pianiste nous adresse ses réflexions musicales teintées de doute et d’humour.

D’abord, elles ne sont pas motivées par lui seul mais par sa bibliothèque. On y trouve Emily Dickinson, Claude Roy, Sylvia Plath ou encore Jules Supervielle, qui inspirent de leur prose parfois lumineuse, souvent anxieuse, les neuf pièces du disque. Les extraits des ouvrages sont imprimés sur la pochette. Elles ne sont, deuxièmement, pas le fruit d’un délire créatif sans entrave mais de contraintes déterminées. Un solo est toujours un duo entre un musicien et son instrument et, ici, ce piano souvent préparé (cordes pincées, résonances étouffées ou transformées, samples) donne à entendre l’aplomb, la limite, la verticalité, le rythme syncopé, au mieux un bourdon et non les étendues harmoniques.

C’est la force de ce disque qui, bien que narratif et hautement littéraire, tient davantage du modernisme que du romantisme. Cette Écume semble née une envie d’en découdre avec l’inconfort, d’une ode à la bizarrerie, d’un hymne à l’incertitude. C’est elle la muse de la création artistique, contrairement à l’overdose de précaution, de réserves et de mesures dont nous gave l’époque. C’est bien de l’amertume de l’écume remontant à la surface qu’il est question ici. Aussi, rappelons-nous que « Le principe de précaution nous prive des belles émotions que procure l’incertitude » (Grégoire Lacroix) et plongeons dans ces ondulations qui offrent une forte résonance en cet hiver 20-21. La mélancolie y est simplement exquise.

par Anne Yven // Publié le 24 janvier 2021
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