Scènes

Claudia Solal en liberté

Paris, 31 mars 2007. Avec Benjamin Moussay : piano, claviers, Médéric Collignon : chant, Le Duy Xuan : chant.


Paris, 31 mars 2007. Avec Benjamin Moussay : piano, claviers, Médéric Collignon : chant, Le Duy Xuan : chant.

Benjamin Moussay travaille le clavier électrique, qui fusionne avec les vocalises, joue comme une boîte à musique égrenant l’enfance au bout de ses doigts. Puis Claudia Solal interprète des poèmes d’Emily Dickinson. Moussay, à présent au piano, improvise et distille de l’impressionnisme musical en alchimiste sonore, mais se remet bientôt à bidouiller l’électronique pendant que la chanteuse triture sa voix sans pitié pour ses cordes vocales. Le morceau se termine tout en douceur par un duo piano/voix.

Claudia Solal © H. Collon/Vues sur Scènes

Claudia Solala annonce : « Et à présent, Shakespeare mis en musique. C’est très prétentieux. On l’a fait quand même ». S’ensuit un duo rêveur, nuageux, piano chant. Ça flotte comme un vol d’oiseaux, - si chers à Shakespeare. Un solo de Benjamin Moussay nous démontre à nouveau quel merveilleux pianiste il est. Aérien et puissant à la fois, clair, ordonné et rêveur. Il titille l’aigu en faisant sonner le piano comme du cristal. Il reprend en grave pour Claudia, repart sur une lame de fond de graves pour emporter la voix de Claudia Solal… et le public avec…

Benjamin Moussay © H. Collon/Vues sur Scènes

Après des vocalises paroxystiques, voix et piano nous enveloppent dans une bulle de douce chaleur. Place au « Devil Rabbit ». Bruitages sur voix enregistrée : « The number you have dialed has been changed ». Moussay envoie des lignes de basse énormes, ponctuées par un métronome auquel il ajoute des nappes de sons. Et revient la comptine. Il y a quelque chose du Monty Python Flying Circus dans cette musique, du « Ministry of Silly Walks ». Ambiances lourdes et légères se succèdent.
« Le terrier ». « Encore une histoire de lapin et ce n’est pas fait exprès » explique Claudia. On s’y sent vraiment au chaud, comme chez soi, dans ce terrier. Moussay joue du cymbalum avec les cordes du piano. Tous deux s’amusent à décomposer et s’échanger les sons sans les achever. Elle, aiguë, sur le fil du rasoir. Lui, tantôt pesant, tantôt léger et piquant. Pour finir : un standard, « In Walked Bud » de Monk (dans la version chantée de John Hendricks). Moussay, au piano, est grave et percussif - monkien à souhait. Claudia Solal nous rappelle qu’elle peut aussi interpréter le jazz à la perfection.

  • La théorie du chaos
    Claudia Solal/Médéric Collignon/Lê Duy Xuân.

Deux femmes, un homme, trois voix, une infinité de possibilités.

Difficile de définir ce qui se passe. Ça vocalise à tout va, chacun dans son style. Collignon, loufoque, héritier fou des Double Six, Solal très visuelle, Lê Duy Xuân plus discrète mais non moins présente.

Médéric Collignon © H. Collon/Vues sur Scènes

Médéric Collignon émet des bruits de cartoons. (D’ailleurs, c’est un personnage de cartoon… Les deux femmes ponctuent. Tous trois semblent se chercher mais se trouvent toujours. Lê Duy Xuân possède une technique vocale héritée du chant chinois. Ça peut sonner comme du chant grégorien ou comme les voix bulgares, mais chaque fois Collignon vient tout bouleverser avec ses bruitages animaux (les jeunes femmes, elles font plutôt les souris). Avec une technique vocale d’adultes, ils s’amusent comme des gosses. Quoique certains soupirs ne soient pas à pour les enfants…

C’est une sorte de conversation mais dans une langue connue d’eux seuls. Des onomatopées très vives se répondent, s’entrechoquent. Ça se met tout à coup à parler en français… mais si vite que l’on n’y comprend rien. D’ailleurs, il n’y a rien à comprendre ici. Juste à ressentir - et pour les sensations fortes on est servis. Collignon imite des instruments de musique, contrairement à ses complices. Claudia Solal (la spécialiste du soupir troublant) ponctue son discours, le relance, sans jamais se laisser distancer. Pour conclure Collignon déclare : « Sinon, on ne comprend pas. Ah non ! » Quelques spectateurs quittent la salle, effrayés par tant de liberté ; Claudia Solal se lance dans un solo suraigu, entre le voile et la déchirure, s’emporte via un discours saccadé. Lê Duy Xuân chante une mélopée grave, que Collignon jalonne de claquements de langue. La musique décolle, devient dansante. Ajoutez un DJ par là-dessus et vous aurez le tube de l’été… C’est de l’abstraction musicale déconnante, et un grand moment de liberté. Et ça fait du bien.