Chronique

Comanda Barabba

Jazz Resistant

Tim Trevor-Briscoe (as, cl), Christian Ferlaino (bs, as), Nicola Guazzaloca (p), Luca Bernard (b), Gaetano Alfonsi (dms, perc)

Label / Distribution : Rudi Records

Pour son deuxième album, enregistré par la radio transalpine RAI Radiotre, le quintet italien Comanda Barabba a trouvé un titre qui résume le plus laconiquement possible son dessein : « Jazz résistant » renferme assez de doubles sens pour laisser le maximum de champ libre à l’imagination. On sent dans les pizzicati vigoureux et agiles de Luca Bernard, dès « Cuor di banana », un désir de se poser en défenseur d’une esthétique jazz qui se joue de tout conservatisme. Le piano impénétrable de Nicola Guazzaloca comme l’alto de l’Anglais Tim Trevor-Briscoe font prendre à Resistant une autre tournure, plus belliqueuse, largement marquée par Ornette Coleman ou Anthony Braxton, figures dont on reconnaît l’influence dans la construction du disque. Ainsi, sur « Fireman Breakfast », la rythmique heurtée et roborative martelée par le piano se heurte à deux soufflants tranchants. Peu à peu, le mouvement impétueux du baryton de Christian Ferlaino tente même de se détacher d’une masse en constant mouvement, jusqu’à perdre haleine.

On peut rapprocher ce disque de celui des Français de Papanosh pour la manière de porter le fer dans un univers luxuriant entre hard-bop et free, en y ajoutant une touche onirique au lyrisme collectif (« La Trasfusione » et les cascades main gauche de Guazzaloca). On pense aussi à certaines formations hongroises tel l’Open Collective d’István Grencsó : l’incisif « Sad Cat » est un concentré de groove, encadré par la batterie offensive de Gaetano Alfonsi, La culture drum & bass et afro-beat de ce dernier émerge même par instants (« Don K e la Vita delli Atri »).

Ce vent d’est qui traverse Comanda Barabba s’explique en partie par le parcours du pianiste et de l’excellent Trevor-Briscoe, le moyeu de ce quintet venu de Bologne. En témoigne leur collaboration avec le violoniste Szilàrd Mezei sur le très beau Underflow (2011). Au-delà de la géographie, on perçoit un goût pour l’orchestration et l’ordonnancement des timbres qui dépasse la raucité libertaire de l’improvisation. Sur « Barbaleo », par exemple, un piano taylorien entre en collision permanente avec des soufflants explosifs, sur le fil d’une basse agressive. Le son rugueux de Jazz Resistant ouvre une porte sur la jeune scène du nord de l’Italie, guère éloignée des séismes créatifs du cœur de l’Europe. C’est sur le brillant « Goulash Mood », où l’alto et le baryton s’écharpent sur une rythmique cabossée, que ce tropisme est le plus évident. Parions que cette résistance jubilatoire et embusquée reprendra des positions délaissées de l’autre côté des Alpes. Pour preuve, nous sommes déjà conquis.