Entretien

Jean Rochard, montreur d’ours

A la barre de nato, maison de disques, Jean Rochard remue les ménages.

nato est une maison, le label c’est pour les poulets ! La formule est délicieuse, mais elle dit beaucoup de choses sur le caractère particulier de ce pourvoyeur d’émotions musicales et graphiques depuis les années 80. A la barre, on retrouve Jean Rochard, instigateur, fomenteur et esprit frappeur qui met en lien depuis des années des idées collectives, des musiciens et des dessinateurs. Dernier en date, Vol pour Sidney (retour) met en scène l’illustrateur Johan de Moor et des artistes comme Sophia Domancich, Elsa Birgé, Sylvaine Hélary ou Kirk Knuffke. Rencontre en confinement avec une des grandes figures de nos musiques.

- Comment se porte la Maison nato ?

Sur son dos comme une tortue, à bout de bras comme un singe, à bout de cœur comme un artichaut, à bout de nerfs comme un chat, avec colère et joie comme un ours, à bout d’écailles comme un pangolin, parfois à bout de souffle aussi comme tout le monde.

- Quand on prend le Chronatoscaphe [1] on a l’impression de voir des photos de famille. Est-ce que c’est un peu l’idée de la maison ?

Non, je ne crois pas, ou alors une famille assez large… dans ces photos de Guy Le Querrec, on voit Steve Beresford, Charlie Watts, Elvin Jones, Annick Nozati, M1, Nathalie Richard, Tonie Marshall, Joëlle Léandre, Terry Bozzio, Kazuko Hohki, Boots Riley, Mary Genis, Ali Farka Touré, Raymond Boni, Hélène Labarrière, Jac Berrocal, Tony Coe, Michel Portal et beaucoup d’autres. Peu de danger de consanguinité. C’est plutôt le chaleureux goût des relations.

- Beaucoup de nos lecteurs connaissent l’histoire de nato et de Chantenay-Villedieu, mais pouvez-vous nous raconter comment tout cela a commencé ?

Euh… Il y aura toujours l’avant d’avant l’avant et même précédemment. Un début peut en cacher un autre. Voici quelques déclencheurs (il y en a d’autres, forcément, qui viendront à l’esprit une fois tout ça imprimé).

Début n°1 - Chantenay-Villedieu. Avec mon premier magnétophone à cassette, marque Primo, gagné avec des points d’épicerie Una, je faisais des enregistrements (micro dans la porte de la télé) des émissions type Pop 2, ou Rock en Stock un peu plus tard, et avec les photos des groupes découpées dans Télé Poche et un graphisme rudimentaire, je montais une collection de cassettes live. Avec mon cousin, en vacances, on faisait aussi des mises en son de bandes dessinées que l’on créait avec nos voix et de la musique en utilisant une technique primaire de re-recording à l’aide de nos deux magnétophones.

Début n°2 - Les disquaires. À Sablé-sur-Sarthe, il y avait un disquaire nommé La Discothèque, tenu par un monsieur qui avait l’air de sortir des années 30, à côté du cinéma Le Carnot, c’est là que j’ai acquis mes premiers disques. Il y avait trois cabines d’écoute et on pouvait écouter n’importe quel disque contre 50 centimes pour un 45 tours ou 1 franc pour les 33 tours si on ne les achetait pas. Rien que d’y penser, je ressens encore l’odeur de ces cabines. On y allait parfois en groupe. À Paris, il y eut Dolo Music, la Boutique du Jazz rue Clotaire près du Panthéon, tenue par Dolorès Cante (ça avait été la boutique de Gérard Terronès). J’y croisais, timide, des musiciens et surtout j’y rencontrais Jean-Jacques Pussiau aux débuts de Owl Records. On discutait beaucoup en buvant un coup le samedi vers 17h. Il y avait les images lointaines, fantasmées (Bob Thiele, Phil Spector), puis celles qui se rapprochaient (Gérard Terronès très impressionnant de sa présence en tant de lieux) et puis soudain celle que l’on pouvait toucher et qui implicitement disait « tu peux le faire aussi ».

Jacques Thollot par Philippe Méziat (DR)
Festival Sigma, 1977

Début n°3 - L’enterrement de mon grand-père en 1977. C’est là que me vient l’idée de faire des concerts à Chantenay-Villedieu dans la petite chapelle où nous jouions enfants. Je prends encore des cours avec Jacques Thollot avec qui je suis devenu copain et assez naturellement vient l’idée de ce trio avec François Jeanneau et Jean-François Jenny-Clark pour commencer. Il y a même eu, avec mon copain Christian Loth, un coutumier de Dolo Music aussi, l’idée de l’enregistrer… Nous ne fûmes sans doute guère convaincants. Le concert fut splendide.

Début n°4 - Violeta Ferrer, les Éditions Fréquences et Christian Savouret. Organiser des concerts et produire des disques restent liés dans ma tête. Les deux sont si excitants. Comme je travaille aux Éditions Fréquences en 1980, avec Christian Savouret qui réside au laboratoire de tests hifi, l’idée refait surface et en septembre 1980, ses micros sont à Chantenay devant les contrebasses de Beb Guérin (à qui je n’arrête pas de penser ces temps-ci) et François Méchali. Il y a aussi Violeta Ferrer, extraordinaire récitante de Lorca. Elle a déjà enregistré par le passé sous la direction d’André Clergeat. Ce sera son retour. J’y tiens alors beaucoup. C’est capital. Les mots de Lorca, les mots… les mots sont de la musique et la musique est du langage. Ils prennent immédiatement place avec les musiques de Raymond Boni, André Jaume, Jacques Di Donato, François Tusques. Il y aura beaucoup de mots à venir. Et puis, Lol Coxhill, qui faisait partie de ce que j’écoutais des années auparavant (Kevin Ayers, Caravan…), qui est le héros mystérieux, décalé, monkien de ce que j’écoute alors et qui devient instantanément dès son arrivée à Chantenay, le guide prospecteur, le nécessaire explorateur « en folie » prêt à tous les coups. Ça ira très bien. Trois albums se préparent en même temps et sortiront en même temps (Ha ! Ha ! On avait une longueur d’avance dans le « en même temps »). nato est une chatte siamoise, du nom d’un cousin de Géronimo, c’est aussi « je suis né » en espagnol ancien. Nous y voilà !

On pourrait mentionner pas mal d’autres débuts à l’intérieur de l’histoire. Ce qui a été apporté par Valérie Crinière lorsqu’elle est entrée chez nato en 1990 ou Christelle Raffaëlli en 2005 (pour le Chronatoscaphe) qui est toujours là et a sérieusement activé la manette de stimulation que je n’arrivais plus à trouver dans des moments particulièrement difficiles.

- Une des caractéristiques de la maison, ce sont les disques thématiques, autour d’Hitchcock, de Spirou ou de Sidney Bechet, pourquoi ?

Par passion du récit, des associations, des relations… par amour des sources, des fontaines, du vent et de la pluie… par goût du cinéma peut-être aussi (c’est même assez certain), parce qu’au fond, c’est sans doute plus simple que l’admirable création totalement abstraite avec laquelle je ne suis pas à l’aise. Trop divine. Qu’est-ce qu’on a à dire ? On pourrait parler de ça aujourd’hui ! Et puis, avec les musiciens, on parle beaucoup de tout un tas de choses et les idées viennent. Dans une discussion, il faut des arguments et l’argument, c’est la trame narrative. On pourrait faire Jazzon et les arguments. Parfois, c’est un coup de tête, une blague, à d’autres moments, une obsession dangereuse (un peu), un besoin de danser en pensant, ou d’autres obstinations absolument vitales. Je n’arrive pas à penser la musique autrement que comme un langage.

- Les disques collectifs en découlent. C’est important de réunir autant de musiciens autour d’un thème ? Comment ça se monte, de tels projets ?

Avec ses buts et son couteau. « Autant de musiciens » est toujours limité, on aimerait bien avoir le monde entier des fois. À certains moments, ça déborde sérieusement comme Buenaventura Durruti qui au fur et à mesure de sa réalisation devenait sa conception même, prenait de plus en plus des airs de manif. Il y a une source et on pourrait tous y boire.

- La maison nato a souvent travaillé avec des dessinateurs, avec ce Vol pour Sidney (retour) avec le grand Johan de Moor… D’où vient cette passion pour la BD ?

De très loin, du Temple du Soleil d’Hergé, mon premier album de bande dessinée (j’ai lu Les Sept Boules de cristal bien après), de la lecture du journal de Tintin (un an avant l’âge de raison autorisé), de celui de Spirou, puis de Pilote, du fait qu’avec mon cousin, Pierre Cornuel, nous avions, enfants, créé notre journal de BD avec chacun nos héros inventés. Et tout cela avec les musiques correspondantes, ou plutôt parallèles en 45 ou 33 tours. Dessiner en écoutant très fort « Chaquita » du Dave Clark Five par exemple (titre qui ne fut pas sans influence sur mes choix futurs - une certaine idée du son autant qu’un goût immodéré pour les faces B) dans un grenier aménagé en « rédaction du journal de Timmy » était complètement galvanisant. Écouter (chanter), dessiner, alors ne font qu’un. Ce sont toutes sortes de petites inventions en cascade qui en découlent. Et Gaston Lagaffe - un musicien expérimental, rappelons-le - est une inspiration majeure. Alors oui, le choix d’associer des dessinateurs de bande dessinée résulte probablement d’une sorte d’équilibre instinctif, une nécessité de ne pas voir s’effacer les entrelacs essentiels. Comment partir en voyage véritable sans emmener ce qu’on pourrait nommer « les amitiés scellées » ? Le titre de ce disque est d’ailleurs, plus qu’un jeu de mots, une sorte d’aveu, et le fait que Johan de Moor, cas unique et inattendu d’une sorte d’explosion sortie directement de la famille hergéenne, soit de la partie, en est la confirmation.

Petite Fleur © Johan de Moor

- Venons-en à Sidney (Bechet), pourquoi cet hommage retour à l’auteur de « Petite Fleur » ?

Ce n’est pas un hommage, c’est de la considération, du prolongement, une forme de lutte contre les fragments numérotés, une constitution de réseaux de sens, de réseaux de nuances, une façon aussi de dire simplement quelque chose d’amoureux sans trop se casser la tête.

Bechet, c’est un champ immense d’une liberté folle avec plein d’entrées et plein de sorties aussi. S’il n’y avait pas eu la petite mention (aller) collée derrière le titre au dernier moment alors que la maquette de la pochette était terminée, il n’y aurait sans doute pas eu de retour. Ça devait être intuitif. Se commettre pour ne pas pouvoir se défiler.

Il y eut d’ailleurs une ou deux tentatives de retour dans les années 90. Steve Lacy avec les Recyclers et Guy Lafitte étaient les premiers volontiers volontaires sur la liste. Il y avait eu d’autres contacts et puis ça s’est évaporé dans d’autres préoccupations, d’autres urgences. C’est un soir de janvier 2017, en revenant du festival Sons d’hiver en automobile, que Fabien Barontini a reparlé de ça en disant qu’il aimerait bien faire une soirée à Sons d’hiver l’année suivante en 2018 reprenant quelque chose de Vol pour Sidney. Plutôt que la redite de 1992, l’idée du retour a refait surface.

L’été 2017 à Treignac, lors du festival Kind of Belou, profitant de la présence de Donald Washington - une première française - avec le trio Guillaume Séguron, Catherine Delaunay et Davu Seru et de celle de Nathan Hanson et Doan Brian Roessler qui jouaient dans un festival un peu plus au sud et qui nous avaient rejoints, on posait les premières pierres, les premières fleurs. Puis pour Sons d’hiver, le groupe suggéré a été le quartet de Matt Wilson avec Catherine Delaunay. Delaunay/Bechet sur le papier ça sonne historique, ça sonne bien et ça a sonné bien dans tous les cas de figure. L’album s’est construit petit à petit, pas du tout dans la rapidité de l’aller. La piste n’était jamais prête pour l’envol et puis pour la sortie annoncée le 27 mars, nouveau report dû au coronavirus.

- On perçoit d’ailleurs que cette « Petite Fleur » est le lien entre les deux voyages : Lol Coxhill en 92 et Elsa Birgé en 2020…

Lol Coxhill avait joué « Petite Fleur » lors d’une fin de repas à Chantenay-Villedieu chez mes parents. Il y avait Günter Sommer et sa femme. C’était splendide, l’écoute était tellement attentive, très belle. Ce souvenir persistant a beaucoup contribué à motiver la mise en train de Vol pour Sidney (aller) des années plus tard. Dans I Will Not Take « But » for an Answer d’Ursus Minor, Tony Hymas avait arrangé une version de « Petite Fleur » se jetant dans « Superstition » de Stevie Wonder comme un fleuve se jette dans la mer. Et puis, il y a ce mystère des paroles de Fernand Bonifay. Mouloudji les a chantées, Claude Goaty, Henri Salvador et Petula Clark aussi. Selon les interprètes, les paroles sont différentes (il y a aussi d’ailleurs une version peu connue avec des paroles anglaises). « Petite fleur », c’est un tube, un blues romanesque, un standard palpitant.

Là où le standard devenait le blues, ici le blues devient le standard qui devient le blues (et ça ne s’arrête pas). C’est le générique des quinze albums à venir de la série Vol pour Sidney et de l’adaptation télévisée qui va suivre (Ha ! Ha !). Elsa Birgé a chanté enfant avec Un drame musical instantané dans Buenaventura Durruti et puis on a pensé à elle avec Tony Hymas pour Chroniques de résistance, après l’avoir entendue dans Odeia. Elsa, c’est la petite fleur évidente. Ursus Minor était à Paris entre deux concerts, on a organisé ces séances à toute blinde. Elsa étant fan du groupe qu’elle avait vu souvent, ce ne fut pas difficile. Dans son autobiographie Bechet dit avoir composé « Petite fleur » aux toilettes. Le fameux « en même temps ».

Dans son autobiographie Bechet dit avoir composé « Petite fleur » aux toilettes.

- Est-ce qu’on a changé d’époque entre les deux disques ? The Lonely Bears à l’aller et Ursus Minor au retour ?

C’est intéressant ces deux histoires d’ours à distance. Le monde sans ours est impensable et il y en a de moins en moins. Alors oui à chaque fois qu’un ours disparaît, on change d’époque, à chaque fois qu’un autre surgit, on repasse à une autre aussi à moins qu’alors on ne regagne les forêts pour quelques instants nécessaires. C’est intéressant de comparer l’aller, réalisé dans une sorte d’impatience impulsive : on contacte, on enregistre hop ! Et le retour avec son labeur (labeur d’époque ?) mais qui prend son sens dans cette attente aussi, qui fait tout pour ne pas être abandonné. La musique tient bon et l’anecdote devient une réalité vécue. Au milieu d’albums, chez nous et ailleurs, qui réagissent sérieusement à la violence de l’époque, Vol pour Sidney (retour) se donne présent en affleurant le passé. Dans l’affolant dédale de nos interrogations, il est peut être un indice du simple plaisir d’une expérience commune, cette histoire de jazz constamment à venir.

- Est-ce que c’était important, pour ce voyage retour, de mettre en lumière la complicité de Bechet avec Brassens ?

Ça aurait été plus simple si Bechet avait repris « Hécatombe » Ha ! Ha ! Vol pour Sidney (aller) était tout entier consacré à la musique composée par Sidney Bechet. Ce qui d’ailleurs n’était pas jusqu’alors l’idée de nos disques à thèmes qui n’étaient pas des albums de reprises y compris lorsqu’il s’agissait d’Erik Satie. Vol pour Sidney (retour) propose une image un peu plus large qui comprend le morceau de Joe Jordan, « Shag », qui devient d’une certaine façon grâce à Bechet le premier morceau de free jazz de l’histoire, deux morceaux dédiés à Bechet par Ellington et Coltrane et « Brave Margot » de Brassens que Bechet avait repris.

Le chanteur s’intéressait au jazz, mais ce n’est pas vraiment pour ça qu’il figure ici. À un moment Ellington et Bechet faisaient partie du même monde, à un autre moment, Bechet et Brassens faisaient partie du même monde. Il y a plusieurs « même monde » avec Bechet, la marque d’une carrière longue, des déménagements évidemment, mais pas seulement. L’effet est tout différent avec, mettons, Dexter Gordon, Frank Wright ou Nina Simone. Quand Nina Simone reprend Brel, elle ne le rejoint pas de la même façon. Pourtant, elle le fait magnifiquement et probablement avec plus de réflexion et d’intensité que Bechet pour « La Canne de Jeanne » ou « Brave Margot », mais le saxophoniste à ce moment-là joue la musique d’un voisin, tout simplement, dans une logique première, traditionnellement en bon entendeur salut. D’une certaine façon Brassens a moins besoin de Bechet que Brel de Nina Simone (ok, c’est une vision un peu fantasmée), ce qui confère une grande liberté tant à Bechet qu’à Brassens.

C’est intéressant de comparer l’aller, réalisé dans une sorte d’impatience impulsive : on contacte, on enregistre hop ! Et le retour avec son labeur (labeur d’époque ?) mais qui prend son sens dans cette attente aussi, qui fait tout pour ne pas être abandonné.

- La maison aime bien avoir de nouveaux résidents, comment se sont passées les nouvelles rencontres ?

Ces disques à thèmes sont aussi souvent de bons points de rendez-vous, comme les ronds-points des gilets jaunes. On a parlé tout à l’heure de Donald Washington, saxophoniste originaire de Detroit vivant à Minneapolis, professeur de James Carter, camarade de Roscoe Mitchell, Julius Hemphill, Muhal Richard Abrams, Leroy Jenkins, Douglas Ewart, Lester Bowie, chez qui Pharoah Sanders venait prendre des conseils d’anches. Un de ces musiciens de l’ombre qui ont apporté leur pierre à la grande histoire en préférant la partie ombrée. Je l’ai souvent vu jouer à Minneapolis ou à Saint Paul (Minnesota).

John Dikeman, mon fils Léo m’en avait parlé, me demandant si je le connaissais en l’ayant entendu dans Fool, l’album de Jameszoo. Je l’ai écouté ensuite en concert avec William Parker et Hamid Drake. J’ai été très impressionné par sa puissance, cette rage essentielle qui prend une résonance particulière aujourd’hui. Comme dans le premier volume où il y a le duo Michel Doneda - Elvin Jones, je ressentais l’importance d’un autre duo saxophone/batterie ayant ceux de Bechet avec Kenny Clarke en tête comme élément de cœur à l’ouvrage. Simon Goubert est en quelque sorte le dernier French kid de Kenny Clarke. Cette fameuse histoire de jazz première langue. Simon était dans Thollot in Extenso réalisé à la même époque (pour reprendre les histoires d’ours et d’époques).

Depuis, nous avons fait d’autres choses, le trio Tony Hymas-Hélène Labarrière-Simon Goubert par exemple. Sophia Domancich était aussi dans Thollot in Extenso. C’est une musicienne que j’aime énormément, si gracieuse, elle m’émeut beaucoup et j’ai eu souvent le regret de n’avoir pas su lui proposer quelque chose. Robin Fincker a quelque chose que j’estime beaucoup, une impression du saxophone qui passe par d’autres routes, parfois assez anciennes, sans subir les attractions fatales de l’époque. Sylvaine Hélary, je l’avais rencontrée avec Denis Colin et beaucoup appréciée. Je l’ai pas mal entendue en concert dans toutes sortes de contextes. Il y a une sorte de joie inventive constante et très éclairante dans ce qu’elle joue et c’est très partagé par ses compagnons, Antonin Rayon, Benjamin Glibert et Christophe Lavergne.

Matt Wilson et ses compères Jeff Lederer, Kirk Knuffke et Chris Lightcap ont débarqué à Paris et direct de l’aéroport au studio Campus pour une répétition avec Catherine Delaunay, très vite fait, très bien fait et en concert le lendemain, cette version de « Blue Horizon », le jazz a toujours une capacité de délivrance. Kirk Knuffke, dans la foulée, devait participer aussi à Thollot in Extenso avec Karl Berger.

En en parlant, revient l’image de Jacques Thollot et ses petits camarades jouant sur la tombe de Bechet le lendemain de l’enterrement en 1959. Nathan Hanson, Doan Brian Roessler, Hymn for Her et le trio Guillaume Séguron, Catherine Delaunay, Davu Seru font partie de l’histoire récente de nato, les très nomades Hymn for Her avec Hits from the Route 66, Nathan et Doan Brian avec How the Light Gets In des Fantastic Merlins, et le trio SDS avec La Double Vie de Pétrichor (ELU Citizen Jazz), album n’ayant, à mon avis, pas reçu l’attention qu’il méritait. C’est dans une deuxième version, très méditative, de « Blue Horizon » avec ce trio que s’achève ce retour. L’ensemble est donc, pour nous, plutôt neuf. Neuf de beaucoup d’amitiés en chemin.

Ursus Minor sont les vétérans de l’histoire, les camarades infaillibles, puisque le groupe est né en 2003 (Tony Hymas a commencé chez nato en 1984 et François Corneloup en 1996, Stokley Williams a rejoint le groupe en 2005 et Grego Simmons en 2013), d’ailleurs Stokley prend sa voix la plus éprouvée pour « Viper Mad ». La plus jeune, Elsa Birgé, avait pris de l’avance avec autorisation parentale dès 1996, une étoile aînée.

Elsa Birgé © Franpi Barriaux

- Quels sont les envies prochaines de la maison nato ?

De trouver, retrouver, rechercher les écoutes là où elles sont possibles, que nos petits disques continuent, ou mieux, approfondissent, leur mission messagère. Qu’on puisse créer nos zones d’autonomie, nos îles, sans les flics de la culture, sans Amazon, sans Live Nation, sans les destructrices plates plateformes de l’anonymat en ayant évité qu’elles nous dévorent sans y prendre gare pour nous chier ensuite. De ne pas céder à tous les « trop tard ! ». Que nos colères et nos joies en rejoignent beaucoup d’autres, qui n’ont pas à être identiques, avec la musique pour langage sans illusions et pleins de rêves.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 mai 2020

[1Livre disque paru en 2005, qui raconte l’histoire de la maison, NDLR.