Portrait

Déluge, naissance d’un collectif

Trois questions au nouveau collectif Déluge.


Trio Theorem Of Joy

Ça tonne à Pau, mais ça ruisselle entre Bordeaux et Paris. Portrait du collectif « Déluge ».

Nous apprenons la constitution d’un collectif « entre Bordeaux et Paris », le collectif Déluge. Nous considérons ça depuis Bordeaux, où nous connaissons un peu la situation du jazz et des musiques voisines, comme une excellente nouvelle.

Le collectif Déluge est né en 2017 sous l’impulsion de Thomas Julienne et Clément Simon, 2 musiciens bordelais installés à Paris et de Julien Dubois, musicien et pédagogue parisien responsable du département jazz et musiques amplifiées du conservatoire de Bordeaux. Les trois musiciens, qui se connaissent depuis une dizaine d’années, sont alors sur la production de leurs nouveaux disques respectifs, et se retrouvent souvent pour échanger autour des questions d’organisation, de financement, de démarchage et de développement de leur projets artistiques.
Thomas Julienne lance également fin 2016 l’idée d’organiser à Montreuil, aux Copeaux (ancienne usine de menuiserie transformée en habitation), un mini-festival rassemblant des groupes de musiciens d’origine bordelaise et des groupes de musiciens parisiens. Le festival est une réussite et rassemble plus de 300 personnes sur 2 soirs. Une deuxième édition de plus grande envergure sera organisée en 2018.

S’impose alors aux yeux de nos trois amis un constat notable : du coté parisien, une véritable diaspora de jazzmen bordelais évolue et se fait de plus en plus connaître. Du coté bordelais, notamment depuis le développement du département jazz du conservatoire, une nouvelle génération de musiciens de haut niveau émerge et propose des projets artistiques d’une grande maturité.
De là naît l’idée de créer le collectif Déluge, en référence à la composition de Wayne Shorter sur l’album « Juju », pour fédérer cette énergie et proposer aux musiciens un outil de développement de leurs projets artistiques, améliorer leur représentativité et créer une véritable connexion entre les musiciens bordelais (Gaëtan Diaz, Vincent Vilnet, Mathias Monseigne, Hugo Raducanu, Thomas St Laurent), les musiciens d’origine bordelaise installés à Paris (Thomas Julienne, Clément Simon, Simon Chivallon, Olivier Gay, Tom Peyron, Alexis Valet…) et les musiciens parisiens (Julien Dubois, Robby Marshall, Boris Lamerand…)

Thomas Julienne
Photo : Christophe Béranger

- Les collectifs insistent généralement sur l’intérêt qu’il y a à se grouper en termes de capacité à faire pression sur les éventuels partenaires (institutionnels, privés), sur le plan économique par exemple. Est-ce le cas ?

Nous ne pensons pas que « faire pression » soit le bon terme, mais l’objectif est clairement de créer un entité plus grosse et plus visible, qui dépasse les projets individuels de chaque musicien, pour améliorer notre capacité à dialoguer avec les partenaires et rentrer plus facilement en contact avec les institutions. Un exemple concret : Thomas Julienne et Julien Dubois cherchaient depuis longtemps à se produire sur la scène du Rocher de Palmer à Cenon. C’est en proposant une grande soirée de lancement du collectif rassemblant trois groupes qu’il ont obtenu gain de cause. La soirée aura lieu le 25 janvier 2019, et rassemblera de nombreux acteurs professionnel du réseau de la Nouvelle-Aquitaine.

- Il y a aussi l’aspect « dimension esthétique » : avez-vous un axe artistique, même large, sur quoi repose votre démarche collective ?

Le parti pris du collectif est d’être axé sur les projets de création. Ce qui nous intéresse, c’est de rassembler des projets de création originale qui dessineront l’identité musicale et artistique de la scène jazz bordelaise. Nous n’avons aucune frontière esthétique. A partir du moment ou c’est de la création, chaque musicien est libre de s’exprimer dans la couleur qui lui est propre. Nous ne cherchons pas à donner une direction à cette identité, nous pensons que celle-ci émergera spontanément de cette diversité.

- On voit proliférer un peu partout des « tremplins », destinés (selon les organisateurs) à « aider » à l’émergence des talents. Quel est votre point de vue (collectif, ou personnel) là-dessus ? Car on objecte aussi qu’à multiplier ces concours, surtout lorsqu’ils sont dotés d’autant de prix symboliques que de candidats, on favorise la rivalité plutôt qu’autre chose…

La question est amusante, car c’est justement après un tremplin perdu en 2016 dans lequel Thomas Julienne et Julien Dubois ont présenté leurs projets respectifs (Theorem of Joy et Le JarDin), qu’ils ont commencé à se dire qu’il fallait qu’il trouvent d’autres moyens pour se faire connaître, qu’il fallait s’organiser pour pouvoir sortir de ce système de mise en compétition dévalorisant qui en fin de compte n’apporte rien à personne.
Le problème aujourd’hui, c’est que beaucoup de festivals ne programment plus de groupes émergents en dehors de ceux qui auront gagné leur tremplin. De nombreux festivals que nous démarchons nous le disent même sans détour : pour être programmé participez à notre tremplin, nous ne programmerons pas d’émergence en dehors des gagnants du tremplin. A présent notre position de collectif vis-à-vis des tremplins est hyper pragmatique : aux gros tremplins nationaux et internationaux (la Défense, Jazz à Vienne, jazz migration…), nous inscrivons tous les groupes du collectif !!! On se dit qu’en y allant à 10 on augmente les chances que l’un d’entre eux soit pris. Et si un est sélectionné, (voire gagne), les retombées profiteront à tous.
Nous revisitons la devise des mousquetaires sans attendre grand-chose de ces résultats, et concentrons nos efforts pour continuer notre combat pour la créativité et la solidarité entre les musiciens.