Chronique

Denis Levaillant

O.P.A Mia

Vincent Le Texier (Baryton basse), Claudine Le Coz (soprano), Yann Collette (acteur), Irina Dalle (actrice), Enki Bilal (dessins, costumes, décors), Denis Levaillant (comp, livret), André Engel (mise en scène) + Ars Nova dirigé par Philippe Nahon

Label / Distribution : DLM éditions

Denis Levaillant est une figure à part dans le paysage musical hexagonal. Ne serait-ce que parce qu’il donnerait des migraines à tous les adorateurs d’étiquettes : investi dans le spectacle vivant pour lequel il compose, il a également écrit sur la question de l’improvisation une somme qui fait toujours référence [1] et composé pour des fictions radiophoniques. Membre du Trio ALP dans la sphère du jazz, il est également l’auteur de plusieurs opéras et ballets, mais aussi de musiques pour des contes, comme Les Musiciens de Brême. Des récits souvent marqués par l’art et la politique, régulièrement présente dans ses productions. C’est le cas de cet O.P.A Mia, opéra réédité récemment en DVD chez DLM éditions et joué par l’ensemble Ars Nova dirigé par Philippe Nahon. Enregistrée en 1990 à l’Opéra Comique de Paris, cette pièce fort contemporaine avait en son temps interpellé le Festival d’Avignon par la noirceur de son propos, la modernité de son interprétation (Magnifique « J’ai tout perdu » à l’orée du second acte) et les décors et costumes d’Enki Bilal.

La réédition de l’opéra - même si la vidéo accuse un peu le poids des ans face aux canons de ce siècle - est un luxueux objet. Le livret est agrémenté de dessins originaux de Bilal et d’une série d’interviews captées en 2005 qui permet de comprendre à quel point ce spectacle reste important pour le compositeur mais aussi pour le dessinateur-metteur en scène. On notera également une passionnante analyse de l’œuvre par le musicologue Gérard Condé qui permet de bien prendre la mesure du travail réalisé.

Contempler cet opéra aujourd’hui, vingt-sept ans après sa première représentation, fait parfois froid dans le dos. Lui (Yann Collette) et Elle (Irina Dalle), un golden boy et une speakerine : la spéculation et les médias s’unissent avec l’argent comme seul fluide et la cupidité sans visage en toile de fond. Se déchirent comme on revend ses parts, parlent aux dieux qui incarnent l’argent (Sunny Cash, le baryton basse Vincent Le Texier) et la vérité (Sphinx, formidable soprano Claudine Le Coz) et subliment les humains en chantant leurs émotions. OPA Mia est un livret écrit à la fin des années 80, une décennie qui a consacré l’argent comme seule valeur acceptable et lessivé les créateurs qui refusaient la norme.Il est intéressant de constater combien cette réédition met en évidence la ressemblance étrange entre cette époque et la nôtre, et à quel point l’intention de Levaillant est d’une terrifiante actualité.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 mars 2018
P.-S. :

[1L’Improvisation musicale, chez Actes Sud