Chronique

Dizzy Gillespie

Dizzy For President

Dizzy Gillespie (tp), James Moody (ts, as, fl), Kenny Barron (p), Chris White (b), Rudy Collins (dm) et, en invité, Jon Hendricks (vcl) et Sleepy Matsumoto (ts).

Label / Distribution : Douglas Records

Il y a des années importantes dans l’histoire d’une nation. C’est le cas de 1963 pour les États-Unis : massacre de Birmingham, grande marche de Martin Luther King, mise en place du fameux « téléphone rouge » entre Moscou et Washington, prémices de la guerre du Viêt-nam, assassinat de Kennedy… Il n’en fallait pas plus pour que Dizzy Gillespie veuille changer tout ça et présente sa candidature à la présidence des États-Unis !

Évidemment, comme souvent chez le trompettiste, il y a une bonne dose de dérision dans cet acte, et là, citons un extrait de la biographie d’Isabelle Leymarie, (Dizzy Gillespie, Buchet-Chastel, p. 158.]] : Gillespie président se propose de « rebaptiser la Maison-Blanche « Blues House » et de nommer Miles Davis à la tête de la C.I.A., Duke Ellington devenant ministre des Affaires étrangères, Charles Mingus, ministre de la Paix, Louis Armstrong, ministre de l’Agriculture, Max Roach, ministre de la Défense, Ray Charles, directeur de la bibliothèque du Congrès, Mary Lou Williams, ambassadrice auprès du Saint-Siège et Thelonious Monk, ambassadeur itinérant ». Un gouvernement plutôt rigolo, mais qui pourrait sans doute en remontrer à plus d’un !… Cela dit, Gillespie finira par se retirer de la course présidentielle pour soutenir Lyndon B. Johnson.

Si nous avons passé du temps sur l’« homme politique », c’est que Dizzy for President a été enregistré au festival de Monterey… en 1963, et qu’il y a au moins trois traces de cette action politique : le titre de l’album, la photo de meeting du candidat Gillespie par Jerry Stoll et, surtout « Vote Dizzy », la chanson de « propagande » qui reprend le thème d’un grand classique gillespien, « Salt Peanuts »…

L’auditeur trouvera sur ce disque les grands clichés de Gillespie, à commencer par ses pitreries et son répertoire - de « Dizzy Atmosphere » jusqu’à « Salt Peanuts » en passant par des morceaux be-bop et bossa nova, dont il est l’un des précurseur dans le jazz. Par ailleurs, le trompettiste déploie toutes les facettes de son jeu : il virevolte dans le registre aigu, jongle avec les rythmes rapides, mais sait rester paisible et décontracté quand il le faut (avec la sourdine dans « Manhã de Carnaval »). En orchestrateur patenté, il met en valeur ses compères (« Desafinado », « I’m In The Mood For Love ») et montre un sens affûté de la relance (« No More Blues », « Gee Baby »)… En bref, il met sa virtuosité au service de son intelligence musicale (« Vote Dizzy »).

Quant aux compères du trompettiste, loin de n’être que des faire-valoir, ils contribuent grandement à la qualité de la musique. Avec un son plein et velouté, James Moody est très expressif autant à l’alto qu’au ténor ou à la flûte. Comme à son habitude, Kenny Barron joue avec élégance et reste toujours particulièrement attentif à ses compagnons. Si Chris White et Rudy Collins se contentent d’assurer la pulsation, leur jeu vigoureux maintient la musique sous tension (« Gee Baby, Ain’t I Good To You ? », « Vote Dizzy »). Invité sur « Vote Dizzy » (tout un programme !), Jon Hendricks fait preuve d’un sens du rythme parfait et d’une agilité exceptionnelle : son scat est un véritable cas d’école. Et, roublard à souhait, Gillespie n’est pas en reste quand il s’agit de jouer avec les onomatopées ou de chanter en duo avec Hendricks.

Qui ne connaît pas Dizzy Gillespie trouvera dans cet album un excellent condensé de sa musique. Pour ceux qui connaissent déjà, Dizzy for President mérite amplement sa place dans une discothèque, pour cette musique sérieusement bouffonne dont Gillespie possédait indéniablement le secret.