
Dmitry Baevsky
Roller Coaster
Dmitry Baevsky (as), Peter Bernstein (g), David Wong (b), Jason Brown (d).
Label / Distribution : Fresh Sound Records
Un arpège de guitare de Peter Bernstein et c’est parti pour un tour de « roller coaster ». Un mix de montagnes russes et de grand huit où le départ et l’arrivée sont donnés par des duos sax alto/guitare après une série de vertiges émotionnels où le sens du collectif fait mouche à tous les coups. Avec les musiciens d’exception recrutés pour ce projet, Dmitry Baevsky déjoue les codes de la tradition en alignant des standards peu usités dont il restitue une forme de substantifique moelle, en particulier dans son dialogue avec Bernstein (« Out Of the Past » - Benny Golson, « Mount Harissa » - un thème latin issu de la « Far East Suite » de Duke Ellington, « Will You Still Be Mine » - exercice de style fort prisé des boppers, « Eclypso » - un calypso clair-obscur de Tommy Flanagan).
Son jeu oscillant entre pudeur et lâcher-prise s’accorde en miroir à celui du guitariste. Ses fulgurances dans la verticalité rencontrent les propositions du second qui, par ses progressions en quartes (quelque part « coltraniennes », au cœur des accords, avec des harmoniques somptueuses), instille des ondes d’une rare profondeur. Dans les chorus, Bernstein passe des single notes aux accords avec facilité et pertinence mélodique et rythmique, tandis que Baevsky s’immisce dans ses propositions harmoniques et rythmiques en montant et descendant des gammes incendiaires et virevoltantes, alternant valeurs longues et notes brèves, jeu legato et staccato, envolées dans les aigus et descentes dans les graves entre douceur et rage de vivre.
Le répertoire a été choisi par le leader en fonction de la musicalité des musiciens présents. Avec quelques titres évocateurs de l’air du temps. Comme « The Sun Died » - « Il est mort le soleil » adapté en anglais par Ray Charles, qui a ici tout d’une ode à la solastalgie - cette angoisse climatique qui nous saisit tous·tes, par la force mélancolique de son interprétation collective.
Outre le patrimoine de la Great Black Music, le poignant « Gloomy Sunday » apparaît comme un rappel des origines slaves du leader, originaire de Saint-Pétersbourg. Composé par le Hongrois Rezső Seress en 1933 ce titre, chanté par Billie Holiday [1], fit écho à la crise de 1929 et le saxophoniste, en plus de retrouver quelques échos de la voix de Flanagan, procure des frissons dystopiques très contemporains. Quant aux compositions originales du leader, ce sont autant de futurs standards qui offrent aux partenaires des occasions d’exprimer leur talent avec brio.