Chronique

East Aces

Autrefois la mer

Claire Chookie Jack (elb, comp), Nicolas Tuaillon (sax, fl), Tom Chaize (p, kb), Léo Gross (dms, perc).

Label / Distribution : Boplicity

Finaliste des tremplins Nancy Jazz Up 2021 et ReZZo Jazz à Vienne 2023, le jeune quartet lorrain East Aces s’est récemment illustré lors de la dernière édition du festival Nancy Jazz Pulsations en ouverture d’une soirée au Chapiteau de la Pépinière dont les têtes d’affiche n’étaient autres que les vétérans Magma et Marcus Miller. On imagine volontiers la pression qui devait peser sur ces musicien·ne·s, pour qui un tel moment s’apparentait fort à un baptême du feu. Mais ces « As de l’Est » ont su tirer leur épingle du jeu à l’occasion d’une prestation certes brève mais représentative de l’univers assez particulier (et très attachant) qu’ils tentent d’élaborer à l’instigation de Claire « Chookie Jack » Brunner [1], leader du groupe, bassiste et compositrice de l’ensemble du répertoire.

Avec Autrefois la mer, East Aces inscrit son propos avec une vraie conviction – celle de sa génération consciente des incertitudes de l’avenir – dans le monde trouble qui est le nôtre, dérèglement climatique en tête. Plusieurs compositions du disque laissent d’ailleurs entendre en introduction quelques voix exprimant la complexité des temps à venir : David Graeber, Aurélien Barrau ou encore George Orwell. Mais ce grand frisson ne saurait entamer l’énergie qui traverse un disque cohérent et sincère, à la réalisation soignée. Plus que de jazz au sens classique du terme, il est ici question de funk ou de ce que certains nomment parfois néo-soul : la musique peut très vite vous embarquer dans une danse portée à la fois par un pessimisme né d’une perception réaliste du monde et par la conviction que bien des combats restent à mener. Les musiciens (Nicolas Tuaillon, saxophone ; Tom Chaize, claviers ; Léo Gross, batterie) serrent les rangs autour de leur leader dont la sensibilité mélodique et la générosité des impulsions ne sont pas les moindres de ses qualités. Parfois aussi, Claire Brunner se fait vocaliste, son chant discret et aérien devenant alors le parfait contrepoint de celui, beaucoup plus terrien, des cordes de sa basse. Autrefois la mer est par conséquent tout sauf un disque désespéré, il est d’abord l’expression d’une résistance nécessaire et d’une musique rassembleuse.

par Denis Desassis // Publié le 26 novembre 2023
P.-S. :

[1On rappellera ici que Claire Brunner et son mari Benoit ont récemment créé le Boplicity Jazz Festival qui se tient chaque année au mois de juillet à Rambervillers dans les Vosges. 2023 était l’année de sa troisième édition.