Entretien

Stella Vander, voix essentielle

Rencontre avec Stella Vander, la voix de Magma, groupe qui comme d’autres, retrouve le chemin de la scène après 18 mois d’arrêt.

Stella Vander © Frédéric Tesson

Magma a connu un important renouvellement de sa formation à l’automne 2019. Une première série de concerts jusqu’en mars 2020 avait permis de ressentir la nouvelle vitalité du groupe emmené par Christian Vander. Et puis vint la pandémie… Aujourd’hui, Magma reprend la route, annonce un nouvel album. L’occasion d’échanger avec celle qui est de l’aventure depuis les premières heures.

- Tout d’abord, comment allez-vous après cette étrange période ?

Je vais bien, je suis surtout heureuse de reprendre du service, parce que je ne croyais presque plus à cette tournée et puis finalement elle va se faire. Même si ça reste compliqué. J’ai l’impression que les gens attendent la dernière minute même si, là où a été fait le choix de les laisser libres de garder leur billet ou pas, nous avons le même nombre de réservations, et même peut-être un peu plus. En revanche, dans les villes où il a fallu recommencer à zéro, c’est beaucoup plus difficile. Mais selon Drouot, nous sommes en tête de tout leur catalogue, c’est nous qui vendons le plus de places pour le moment, ça se fait assez régulièrement alors que pour d’autres, ça ne bouge pas.

- Avant d’aller plus loin, j’ai remarqué que, finalement, vous ne vous exprimiez pas tellement…

Non, mais vous savez, c’est le choix des journalistes. Quand on a sorti Zëss, j’avais dit à nos attachés de presse qu’ils n’étaient pas obligés de proposer seulement Christian pour les interviews, mais ça ne les intéresse pas, ils veulent Christian !

- A l’automne 2019, Magma a connu une refonte assez importante de sa formation avec l’arrivée de Thierry Eliez, Jimmy Top et Simon Goubert, ainsi que la pérennisation d’un chœur assez important avec six voix, sans compter celle de Thierry Eliez qui semble chanter souvent. Sans revenir sur les conditions dans lesquelles les précédents musiciens ont quitté le groupe, on a pressenti un besoin de changement. Qu’est-ce qui, de votre point de vue, anime cette nouvelle mouture de Magma ?

En fait, nous avions vraiment fait le tour du groupe précédent. Nous ne nous amusions plus, nous nous ennuyions et nous n’étions pas les seuls à nous ennuyer. C’est pour cette raison que nous nous sommes séparés de Philippe Bussonnet. C’est vrai que ça a été un choc pour lui, mais je crois que c’était salutaire et puis il avait envie de mener à bien ses projets. Et pour ce qui me concerne, j’en avais soupé du son du vibraphone depuis un moment déjà, surtout que la musique était devenue accessoire pour Benoît Alziary. Quant à l’autre pianiste, Christian n’avait jamais vraiment accroché, il n’avait pas un background jazz. Humainement, ça ne se passait pas bien. Alors voilà, il fallait mettre un coup de pied dans la fourmilière et ça s’est fait.

Le Magma guerrier, c’est bien, c’est ce que les gens aiment, mais il y a aussi tout l’autre côté de cette musique.


Mais ce qui a été décisif, après le concert de la Philharmonie, c’est que nous avons beaucoup parlé avec Simon qui nous a dit qu’il avait eu l’impression de passer à côté de quelque chose pendant toutes ces années où il était loin et qu’il avait vraiment envie de revenir. Alors évidemment, quand Simon Goubert vous propose de revenir dans Magma pour jouer du piano, on n’hésite pas une seconde ! Quant à Thierry Eliez, c’est un musicien avec qui j’avais envie de travailler depuis longtemps, mais allez savoir pourquoi, je m’étais mis dans la tête que ça ne l’intéresserait pas. J’ai fini par l’appeler et il m’a dit : « Mais oui ! Evidemment ! Je jouais déjà du Magma dans les bars quand j’avais 14 ans, j’adore ça, je connais tout », donc ça tombait très bien. Et puis, il fallait qu’on trouve un bassiste. Il se trouve que j’avais parlé à Jannick Top (NDLR : l’un des bassistes historiques de Magma dans les années 70.) quelques mois auparavant, parce que nous nous appelons de temps en temps. Il m’avait parlé de son fils, que je connais depuis qu’il est gamin. Mais pour ce qui est du musicien, je le connaissais comme guitariste, il avait même auditionné pour jouer dans le groupe de Marcus (NDLR : Marcus Linon, fils de Stella et Francis Linon, l’ingénieur du son de Magma). Jannick m’avait dit : « Tu sais, maintenant, il joue de la basse, ça le fait vraiment ». Alors si lui me disait ça, c’est que ça devait aller ! Nous en avons parlé avec Francis, avant même d’en parler à Christian, et c’est lui que nous avons appelé en premier. Nous avons fait une sorte d’audition pour Thierry et lui, même si nous étions certains que ça allait bien marcher. Ils ont joué un premier morceau et Christian a dit que ce n’était pas la peine d’en jouer un deuxième, que ça irait très bien. Et depuis, nous sommes ravis, il y a dans la musique une souplesse que nous avions perdue et dont nous avions besoin. Le Magma guerrier, c’est bien, c’est ce que les gens aiment, mais il y a aussi tout l’autre côté de cette musique. De plus, nous avons pu l’expérimenter avec des voix supplémentaires à l’occasion de deux ou trois concerts, et c’est à ce moment-là qu’un mécène ami de Laura, l’une des chanteuses, nous a expliqué qu’il mettait sur pied une fondation pour aider la musique et la littérature qu’il aime, qu’il adorait Magma et qu’il était prêt à prendre en charge les trois chanteuses. Car c’est vrai que c’était compliqué financièrement pour nous de les intégrer au groupe.

Stella Vander © Robert Guillerault

- Les premiers échos des concerts, notamment les récentes auditions publiques au Triton, laissent percevoir de la joie, des sourires. Comment définiriez-vous ce nouveau Magma qu’on peut également découvrir dans un live enregistré en mars 2020, Eskähl ?

Tout le monde est heureux d’être là, il y a zéro problème d’égo, nous sommes là pour servir la musique, nous pouvons nous parler. Aujourd’hui, c’est relax, tout le monde propose, tout le monde acquiesce ou pas, mais ça se passe tranquillement. Il y a une ambiance qui n’a plus rien à voir et ça se ressent dans la musique et dans la manière dont elle tourne. Au bout de deux ou trois répétitions du nouveau groupe, Christian m’avait dit qu’il avait oublié que Magma pouvait swinguer. Et c’est vrai, il y a cette souplesse que nous avons retrouvée. De plus, Christian est emballé par la section de voix, il dit que le groupe n’en a jamais eu une aussi belle. Il ne faut pas oublier qu’il a toujours composé pour piano et voix. On n’a jamais souffert de trop de voix dans Magma. Surtout que nous avons une nouvelle recrue, Caroline Szymkowiak, qui est vraiment super. Elle s’est intégrée très vite, elle m’a scotchée ! En deux semaines, elle a appris tout ce que je lui avais demandé d’apprendre. Très jolie voix, grande tessiture, bonne musicienne. Et puis, nous sommes en train de préparer un nouvel album, un disque de groupe, avec des morceaux composés par d’autres que Christian dont l’un de Thierry Eliez. Nous étions en train de le répéter, sans Christian dans un premier temps, il était assis dans la salle et il nous disait : « Mais je n’ai pas envie de jouer, c’est très bien comme ça ! ». Le fait d’avoir été bloqués au bout de six concerts et de ne pas s’être vus pendant des mois du fait de cette situation invraisemblable a renforcé aussi des choses. Tout le monde est super content à chaque fois que nous nous voyons, nous sommes toujours restés en contact. Et puis, nous avons tous pris un peu de bouteille. Franchement, nous sommes tous heureux de nous voir. Quand nous nous sommes retrouvés au Triton la veille du tournage de l’émission Magma Ground Control pour Arte, nous étions tous en larmes, très émus.

- Des compositions d’autres musiciens, comme au « bon vieux temps », celui des deux premiers disques de Magma ? C’est sans doute le reflet d’un état d’esprit différent ? Ou bien est-ce lié à Christian Vander lui-même. Il n’a plus rien à prouver, il a beaucoup donné.

Oui, c’est un vrai album de groupe. Mais c’est surtout parce que durant les dernières années, nous avons régulièrement proposé aux musiciens d’apporter des morceaux, mais personne n’en a jamais amené. Cette fois, les musiciens l’ont fait et c’est super. Il y a donc une composition de Thierry Eliez, une de Simon Goubert et une d’Hervé Aknin, notre chanteur. Les trois autres morceaux qui composeront le futur album sont de Christian. Pendant la tournée, nous allons jouer trois nouveaux morceaux, dont deux de Christian et celui de Thierry, pas encore les autres. Ça a été assez compliqué de répéter, Christian a fait de petites sessions avec un ou deux musiciens chez lui ou en rythmique au Triton. De mon côté, j’ai fait travailler les voix parce qu’elles habitent près de chez moi. Nous avons très peu travaillé ensemble, nous nous sommes retrouvés pour la première fois au début du mois de septembre. Auparavant, chacun avait travaillé chez soi avec des fichiers et différentes informations. Nous sommes un peu disséminés en France et ce fut compliqué pendant des mois avec la Covid, mais nous nous sommes rendu compte que nous pouvions aussi travailler de cette façon. Donc nous n’avons pas pu monter plus de trois morceaux pour la tournée.

- J’ai cru comprendre qu’il était question d’une composition intitulée « Stevie »…

Oui, c’est un morceau que Christian a composé au début des années 80 dont il avait fait une maquette assez définitive. Mais il est resté dans les cartons. Son nom de code, c’est « Stevie Vander » parce qu’il est dans l’esprit du Stevie Wonder de l’époque. Il n’a pas de titre pour le moment mais il en aura un…

- Dans cet ensemble vocal, comment vous situez-vous désormais ? Êtes-vous une voix sur six ou vous présentez-vous un peu comme leader vocal ?

J’ai des parties en solo, comme Hervé en a également. Oui, nous sommes les « lead vocaux » du groupe.

- Comment s’est passée cette période depuis mars 2020, avec les confinements ? Il y a aussi tout le travail avec Seventh Records.

Seventh, c’est un travail de fourmi, ça continue de toute façon, c’est beaucoup de travail même si j’ai maintenant une personne de plus pour me donner un coup de main. Mais c’est vrai qu’au début, nous étions un peu scotchés comme tout le monde et petit à petit, l’envie est revenue. On a d’abord fait ce clip « I Must Return » chacun chez soi. Francis a dit : « Nous sommes bloqués sans savoir pour combien de temps, nous ne savons pas quand nous pourrons reprendre la route, c’est le moment où jamais de commencer à travailler sur un album ».

- Puisqu’on évoque Seventh Records, est-ce qu’il reste des trésors à exhumer, notamment pour la collection AKT ?

Nous n’en avons pas forcément envie, les gens nous pressent de sortir des enregistrements. Christian dit toujours : « Quand nous serons morts, ils feront ce qu’ils voudront ». Mais de son vivant, il n’a pas envie de sortir tout et n’importe quoi. Il y a des gens qui nous disent : « Pourquoi vous ne sortez pas ceci ? Pourquoi vous ne sortez pas cela ? ». D’ailleurs, ce sont souvent ceux qui les ont déjà en pirates ! Il y en a peut-être quelques-uns qui pourraient sortir, mais on ne trouve pas ça inoubliable ! Nous pourrions le faire, nous en vendrions probablement et nous serions plus riches… mais ce n’est pas l’idée.

- Offering, est-ce toujours d’actualité ou bien est-ce une page tournée ?

Nous ne nous posons pas la question, nous avons déjà assez à faire avec Magma en ce moment, la tournée, l’enregistrement. Et puis nous parvenons à l’âge où nous ne voyons pas trop loin non plus, tout simplement. Faisons les choses une par une.

- Il est question d’un livre dans lequel vous seriez impliquée.

Ah mais ce n’est pas un livre dans lequel je suis impliquée, c’est un livre que j’écris. C’est une envie que j’avais depuis longtemps, mais je pensais que je ne pourrais pas le faire seule. Je voulais l’écrire avec quelqu’un dont c’est le métier. Et puis ce n’était pas la première de mes priorités, je n’avais pas le temps, j’avais autre chose à faire. Mais il y a eu cette histoire de confinement et un matin à l’aube, je me suis réveillée, j’ai commencé à écrire tout le début du bouquin et je me suis dit que, finalement, je pouvais le faire toute seule. Ensuite bien sûr, je le ferai relire, il y aura sans doute besoin d’aménagements, parce que ce n’est pas mon métier. Ça commence quand j’étais gamine, parce que j’ai fait plein de choses avant Magma, et puis ça continue avec Magma et mon son de cloche sur certaines choses. C’est l’histoire de Stella, à l’intérieur de Magma à partir d’un certain moment parce que c’est devenu très important, mais c’est le reste aussi. C’est ce que j’ai fait avant, ce que j’ai fait pendant, ce que j’ai fait à côté. Plein de gens me disaient : « Tu devrais… tu devrais… tu devrais… » Mais je n’étais pas persuadée que ça pouvait intéresser vraiment les gens et finalement, j’ai l’impression que si. Actuellement, ça fait deux mois que je n’ai rien écrit parce qu’il a fallu se remettre au boulot et que je n’ai pas le temps de tout faire. Je n’ai pas de deadline. J’ai commencé par l’époque où j’étais à l’école à 8 ans, je le fais de façon chronologique, parce que c’est une manière pour moi de me souvenir des choses et d’avoir un fil conducteur, mais peut-être que ça changera ensuite. J’en suis arrivée à la fin de l’année 2005.

- Vous aviez pris des notes au fil du temps ?

Pas du tout. En fait j’ai écrit des choses et souvent, au milieu de la nuit comme par hasard, je me dis : « Tiens j’ai oublié des choses, j’ai oublié de parler de ceci ou cela » et je note des trucs sur un bout de papier sur la table de nuit.

- Vous avez enregistré peu de disques sous votre nom – et je ne parle pas là de la période des années 60 – y a-t-il du nouveau de ce côté-là ?

J’ai eu envie de faire un nouvel album il y a 3 ou 4 ans, j’ai travaillé sur le matériel avec une amie, nous avions de quoi en faire un – les thèmes, les textes – mais cela ne faisait pas partie de mes priorités, j’avais du mal à savoir avec qui le faire, j’ai changé plusieurs fois d’avis, j’avais envie d’une formation importante et puis je me suis dit à quoi bon… Mais ça se fera à un moment, je l’espère.

- Comment ressentez-vous la démarche de Christian Vander en ce moment. Il y a l’âge, le temps qui passe, tout cela peut avoir une influence y compris sur sa façon de jouer, la forme physique, la résistance, tout cela entre en ligne de compte. Comment évolue-t-il à 73 ans ?

Nous en parlions avec Francis il y a quelques jours. Il est quand même assez étonnant le garçon ! Il joue peut-être un peu moins fort qu’avant mais il a une énergie dingue ! Il sait depuis un bout de temps déjà qu’il a besoin de plus de temps pour récupérer, donc il fait très attention tout simplement. Mais il n’y a pas que lui, c’est pareil pour moi, il faut en tenir compte. Mais sur le moment, non, l’énergie est là.

- Zëss, ce n’était donc pas la fin de l’histoire ? Tous ces changements dans la formation, ces annonces de concerts et d’un nouvel album, c’est un peu comme une renaissance ?

Ah mais vous savez, pour moi, Zëss n’a jamais signifié la fin, c’est Christian qui avait annoncé ça mais Christian… il annonce souvent des trucs avant de s’apercevoir que ce n’était pas forcément une bonne idée. Je ne l’ai jamais senti de cette façon. Quand on a sorti l’album, pour moi ce n’était pas du tout le dernier de Magma. C’est un disque qui devait se faire à un moment ou à un autre. Je ne voulais surtout pas que ce soit un disque façon Bobino version studio, il fallait vraiment trouver autre chose. J’espérais bien qu’on passerait à autre chose. Christian a toujours besoin d’expliquer. Or non, il n’y a pas toujours besoin d’expliquer, on fait les choses et puis c’est tout.

- Ce nouvel album, quand verra-t-il le jour ?

J’espère au printemps 2022. Nous devrions commencer à enregistrer au mois de décembre si tout va bien. Pour l’instant, il n’a pas de titre, j’en ai proposé un à Christian, il a dit non, on verra bien.

- Magma dans les starting blocks avant la tournée ?

Oui, dans les starting blocks de la logistique et de l’organisation. Comme nous étions un peu méfiants quant à la tenue de cette tournée, nous ne voulions pas revivre l’épisode de 2020 où il a fallu tout annuler, c’était un boulot noir, très désagréable, nous n’avions rien d’organisé. Il a fallu s’y mettre assez rapidement, les répétitions du Triton se sont bien passées, chacun travaille chez soi. Le répertoire est défini : nous ferons un mélange de morceaux d’avant et de maintenant. Les trois morceaux dont j’ai parlé tout à l’heure, nous jouerons aussi « KA I » parce que nous l’aimons bien et que nous le rejouons régulièrement et il se justifie avec une bonne section de voix. Et le fait d’avoir réalisé ce clip pendant le confinement nous a donné envie de rejouer « I Must Return » que nous avions très peu joué sur scène. Et nous jouerons « Mëkanïk Destruktïw Kommandöh » en entier, parce que nous l’avons remonté pour Arte. Personne n’est déçu quand on le joue en entier. Nous sommes en train de monter le rappel, nous avons pensé à quelque chose, nous nous le sommes juste dit mais comme nous avons deux jours de répétitions avant le premier concert, nous allons le mettre sur pied à ce moment-là.