Chronique

One Shot

111

Emmanuel Borghi (kb), Bruno Ruder (kb), Philippe Bussonnet (elb), Daniel Jeand’heur (dms).

Label / Distribution : Le Triton

Il est des renaissances qu’on guette du coin de l’oreille avec plus ou moins d’impatience. Celle de One Shot est sans nul doute caractéristique de l’expression d’une joie qui serait le manifeste d’un retour à la vie. Son cheminement a procédé par étapes successives, la première consistant l’an passé en un hommage live À James (Mac Gaw), l’un des membres fondateurs d’un groupe né dans l’ébullition d’une fusion magmaïenne à la fin des années 90. La disparition précoce de ce guitariste au jeu brûlant aurait pu signer la fin d’une histoire musicale. Celle d’une formation sans concession aux modes, se plaçant dans le sillage d’une musique aux couleurs électriques. S’il fallait définir cette dernière en quelques mots, on dirait d’elle qu’elle est ouverte aux influences d’un jazz rock héritier en ligne directe du Lifetime de Tony Williams et d’un rock qui serait prospectif (un terme que nous préférons volontiers à celui de progressif et qui inclurait à la fois King Crimson et l’École de Canterbury). La puissance de One Shot s’est toujours manifestée comme l’alliée de son empreinte mélodique persistante et de sa créativité dans l’exercice plus exploratoire de l’improvisation.

Or cette histoire n’est pas terminée, tant s’en faut. Le désir de revenir et d’être vivants ensemble, paraissant rimer au sein du quatuor avec nécessité, était bien le plus fort. Orchestré par les musiciens ayant écrit les différents chapitres de l’aventure : Philippe Bussonnet à la basse, Daniel Jeand’heur à la batterie et les deux claviers qui se sont succédé au sein du groupe (et de Magma), Emmanuel Borghi et Bruno Ruder (actuel membre de l’ONJ sous la direction de Frédéric Maurin), ce « nouveau » et septième One Shot va droit au but et enchante par ce qu’il faut bien nommer une forme particulière d’évidence. La force de frappe, parfaitement mise en lumière par la prise de son à laquelle a œuvré l’orfèvre Philippe Teissier du Cros, est non seulement intacte mais elle semble avoir trouvé, par le truchement de ces retrouvailles, de nouvelles sources d’énergie résolument positives. Les quatre musiciens livrent le meilleur d’eux-mêmes en quatre longues compositions (et une coda) originales déployant les fastes en clair-obscur caractéristiques de leur langage commun. Poussé par une paire rythmique trempée dans l’acier (la basse de Philippe Bussonnet étant sans nul doute le point de jonction le plus manifeste entre la musique de One Shot et celle de Magma, dont il fut le bassiste pendant 25 ans) et les chants croisés des deux claviers dont la verve et les scansions sont autant de signes complices adressés à la voix absente de la guitare, 111 [1] s’écoute dans un long et unique souffle. La magie One Shot opère avec la spontanéité musclée et la tension des premières heures, aujourd’hui magnifiées sous les effets d’une maîtrise acquise par chacun des protagonistes au gré de leurs expériences, respectives ou partagées [2].

De nouvelles pages se tournent, pour le plus grand bonheur des amoureux de ce jazz-rock habité. On veut croire que One Shot va en écrire d’autres.

par Denis Desassis // Publié le 19 mars 2023

[1Les adeptes de l’arithmétique binaire comprendront le titre de ce nouveau rendez-vous discographique. Saurez-vous l’expliquer ?

[2Telle celle d’Emmanuel Borghi dont le dernier disque inspiré de la musique dodécaphonique, Watering The Good Seeds, est l’un des temps forts de l’année jazz 2022. Ou encore les Anomalies en solo de Bruno Ruder, parues sur le label Visions Fugitives, qui démontrent la capacité du pianiste à pratiquer avec bonheur l’exercice du grand écart stylistique.