Chronique

Edward Perraud Solo

Préhistoire(s)

Edward Perraud (dr).

Label / Distribution : Quark

Dès l’instant où l’objet se retrouve entre nos mains, la grille de lecture est posée. Le solo d’Edward Perraud, sorti sur son label Quark, s’intitule Préhistoire(s). Sur la pochette, une photo de son cru semble venir tout droit d’une grotte néandertalienne ; au verso, les titres des morceaux convoquent des images anciennes : « Sorcier Chamane », « Primal Ritual », « Feu », etc. À l’intérieur, sur le CD lui-même, une empreinte de main. Sous le disque, une citation :

« Chacun d’entre nous incarne le dernier maillon de la chaîne de tous ceux qui ont vécu depuis l’aube des temps. Il me semble que ce que nous faisons est intimement lié aux premiers hominidés qui se sont mis debout, qui ont lutté instinctivement pour la survie et observé ce monde qui les entourait. Les forces intérieures qui nous animent dans l’acte même de créer sont sœurs de celles des premiers sorciers et chamanes. Les sons qui en résultent aujourd’hui témoignent intimement de ces liaisons avec le passé le plus lointain. C’est ce que j’ai voulu retranscrire dans cet opus de manière consciente ou inconsciente. » (Edward Perraud, octobre 2009)

Enfin, à gauche de cette citation, une photo signée Jean-Michel Monin, où le musicien, bouche ouverte, bras levé, apparaît flou, signe de rapidité, tandis que sa batterie est nette. Tiens, jusque-là, on ne pouvait savoir s’il s’agissait d’un batteur ou de tout autre instrumentiste. Tout ce dispositif sémiotique invite l’auditeur/lecteur/interprète à plonger dans les images de sa généalogie proche et très lointaine.

Et en effet, au moment où le disque se retrouve dans le lecteur, on entend des crissements qui sont autant de creusements vers un passé encore inconnu, des coups répétés qui semblent forger le glaive de l’histoire/des histoires, une grosse caisse lointaine et sourde, peu de silences, des cris de bêtes sauvages, du suspens, comme l’attente avant l’attaque, la recherche avant la chasse, des roulements de tambour, bref, des photos sonores en forme de réminiscences, dignes des meilleurs films sur la préhistoire.

Curieusement, aucun solo démonstratif. Aucun étalage de virtuosité – pourtant, Edward Perraud en a évidemment les moyens - alors que la photo déploie un horizon d’attente très particulier : celui d’en mettre plein la vue, de casser la baraque, de « vous allez voir de quel bois je me chauffe ». On est très impressionné. Mais non, pas de ça ici. Y aurait-il un hiatus entre l’image qu’il veut montrer de lui-même et celle qu’il renvoie réellement ?

Libérons-nous de cette grille de lecture encombrante, bien rodée mais qui masque la musique. Nue, celle-ci se révèle pleine de surprises, toute en subtilités, ouverte aux vents, proches et lointains. C’est un solo de batterie qui déjoue toutes ses attentes : ici, on ne tape pas à tort et à travers, on n’utilise pas plus de fûts qu’il est nécessaire, on ne multiplie pas les bruits à tout va. Au contraire, on se rapproche d’un son intérieur, on danse autour, on le touche – ça y est ! Perraud se dévoile tel qu’il est, face à ses mondes intérieurs, sans volonté de briller, ni de plaire, et joue simplement ce qu’il avait à jouer.