Chronique

Elise Caron & Edward Perraud

Bitter Sweets

Elise Caron (voc, fl), Edward Perraud (dr)

Label / Distribution : Quark

Le duo Elise Caron / Edward Perraud fait partie de ces évidences qui prennent corps naturellement et semblent prédestinées. Sur scène, leur aisance et leur présence ne demandent pas plus d’un morceau pour envoûter le public, comme le 28 avril 2012 sur la péniche l’Improviste à Paris, ou pour la soirée anniversaire des dix ans du festival Vague de Jazz, le 3 mai 2011 au Point éphémère, toujours à Paris, lors d’un concert de soutien à Jazz Nomades - La Voix est libre, ou déjà le 16 octobre 2008, jour de leur toute première rencontre, sur une invitation du Triton (Mairie des Lilas). Sur disque, on jurerait que ces deux-là jouent ensemble depuis vingt ans — qu’est-ce que ce sera dans vingt ans ! — tant leur complicité est grande.

Bitter Sweets, sorti chez Quark, le label d’Edward Perraud, est constitué de 18 brèves douceurs qui, rassemblées, forment un arc-en-ciel musical, tant les registres et les styles explorés sont multiples. Ici c’est une promenade en Asie (« Au-delà de l’eau de la rizière »), là une suggestion lascive et hilarante (« Give Me Your Tong »), là encore une crise de panique : « J’ai perdu mes lunettes » ! L’univers thématique rappelle celui d’Eurydice Bis, le répertoire de chansons d’Elise Caron, ou comment tirer le fil poétique des petites choses du quotidien avec humour et simplicité, deux terrains sur lesquels elle s’entend particulièrement bien avec Perraud. Ces bonbons amers sont entièrement improvisés ; les compositions viendront plus tard ; pour le moment, on s’apprivoise. Pourquoi « amers » ? Précisément parce que dans « humour » et « simplicité », il y a « distance » et « jeu ». Jeux de mots, pour commencer : « bittersweet », en anglais « aigre-doux », devient au pluriel les douceurs amères nommées, entre autres, « Le rappeur Khalité prie » ; « Ni Boulez ni marteau ». Jeux sonores, évidemment : lyrisme, bruitisme, parodie, chanson… La palette d’Elise Caron semble infinie. Jeux de sens enfin, comme si un titre en forme d’oxymore s’imposait pour cet album.

Quoi de plus naturel après tout qu’un duo voix/batterie ? C’est l’exploit que réalisent Elise Caron et Edward Perraud : rendre évident l’insolite. À tel point qu’ils en oublient de mentionner les instruments sur la pochette, détail amusant et révélateur : ici, ce sont les personnes qui font musique. Elle chante et joue de la flûte, il joue de la batterie — mais quelle batterie ! Perraud compte parmi les plus mélodiques des batteurs. On se souvient des bruissements graves et profonds qu’il tirait de son instrument sur Préhistoire(s), son album solo, ou encore sur Synesthetic Trip, en quartet, grâce aux frottements des peaux. On les retrouve sur « Sphères », accompagnés par une voix très lointaine, portée par son propre écho, et qui rappelle justement les accents chamaniques de Préhistoire(s). Que ce soit grâce à la batterie, l’électronique, les objets, les percussions, Edward Perraud se fait chanteur au même titre qu’Elise Caron. L’un et l’autre développent à la fois leurs univers respectifs et celui, nouveau, né de leur rencontre.

Si elle a lieu au présent, l’improvisation est mue par l’histoire musicale de ses deux protagonistes, et offre un jeu à la fois ouvert et accueillant pour les auditeurs, en même temps qu’une distance humoristique et décalée par rapport à lui-même. Une rencontre magistrale.