

Emiliano D’Auria
The Baggage Room
Philip Dizack (tp), Dayna Stephens (ts), Emiliano D’Auria (p), Rick Rosato (b), Kweku Sumbry (d).
Label / Distribution : Via Veneto Jazz
Il est intéressant qu’Emiliano D’Auria, originaire de la région des Marches en Italie, ait invité des musiciens américains pour créer The Baggage Room. Et pour cause, l’allusion faite à cette salle des bagages évoque Ellis Island, porte d’entrée des immigrants qui y entreposaient leurs effets personnels avant d’entrer aux États-Unis au siècle dernier. Il est rare qu’un disque aujourd’hui ne soit pas consacré à un thème quelconque : celui-ci nous replonge dans cette époque où l’Amérique du Nord se construisait avec la diversité des populations qui avaient franchi l’Atlantique. Mais au-delà cette réalité historique, c’est aussi le jazz qui est évoqué par l’intégration d’Italiens, de Juifs et d’Irlandais qui rapidement vont mêler leur musiques à celles qu’inventaient les noirs de Louisiane et les blancs du Missouri.
Depuis de nombreuses années, Emiliano D’Auria s’est fait remarquer par sa collaboration fructueuse avec le trompettiste Luca Aquino. Originaire d’Ascoli Piceno, il a déjà cinq albums en leader à son actif et il a composé les neuf titres de The Baggage Room qui distillent une énergie vorace dans « 1891 : Ellis Island » ou un sentimentalisme profond dans « Searching For The New World ». Imaginatif, le trompettiste Philip Dizack fait scintiller les étoiles dans « Temporarily Detained » alors que Kweku Sembry et Rick Rosato démontrent leurs talents de coloristes dans « The Baggage Room ».
Le style d’Emiliano D’Auria se caractérise par un soutien efficace à la main gauche, mais son toucher devient éblouissant dans « The Long Wait » teinté d’impressionnisme. Révélation de cet album, le saxophoniste Dayna Stephens, qui collabore avec aussi bien Kenny Barron qu’Ambrose Akinmusire, exprime son art par une conception harmonique subtile dans la ballade « The Eye Man ». Son effervescence se répand dans « The Story Of Sacco And Vanzetti » où son articulation et ses changements d’accords s’inscrivent dans la lignée de Joe Henderson. L’aisance avec laquelle il improvise est confondante, il malaxe les notes avec contemporanéité sans que les caractéristiques profondes du blues ne s’effacent.
Enregistré au Bunker Studio de Brooklyn, cet album harmonieux témoigne d’une intégration réussie entre les traditions mélodiques européennes et la pluralité des rythmes afro-américains. Ce sont avant tout des passages qui transparaissent dans ce disque, ceux de milliers de personnes de diverses origines qui ont fondé un pays qui aujourd’hui construit des murs infranchissables afin de rejeter toute tentative d’intégration. Mais ce disque révèle aussi des passages musicaux issus de nombreuses influences planétaires qui émergent dans les compositions. Le jazz n’a jamais si bien porté son nom.