Scènes

European Jazz Conference, le futur se vit à Gand 🇧🇪

« Tomorrow comes Today », telle est la devise de cette 10e édition de l’European Jazz Conference.


De Beren Gieren EJC 2024 © Justine Wolfs

L’EJC rassemble les professionnels du secteur du jazz en Europe, en particulier les promoteurs, les gestionnaires culturels, les agents et les organisations de soutien nationales et régionales. Cet évènement annuel qui s’est déroulé en Belgique a été agrémenté par des groupes de discussions et des ateliers thématiques, par des sessions de réseautage pour les professionnels du secteur de la musique créative et par la présentation des meilleurs artistes du pays d’accueil.
Ce moment important est centré sur la construction de relations durables avec le développement de nouveaux projets. L’organisation gantoise a fait preuve d’un grand professionnalisme et d’un accueil chaleureux.

L’European Jazz Conference 2024 témoigne d’une collaboration entre VI.BE, JazzLab, Ha Concerts et Europe Jazz Network, avec le soutien de nombreuses institutions locales. Gand étant la capitale européenne de la jeunesse 2024, la jeune génération a donc été logiquement au cœur des débats lors des conférences. Confrontée à des défis importants tels que la justice sociale et des actions concrètes pour sauver la planète, la jeunesse apporte une vision régénératrice pour le jazz. L’introduction de nouvelles sonorités, l’usage croissant de l’électronique et des innovations artistiques qui tendent à gommer les frontières musicales donnent lieu à de nombreux débats. Ce sont aussi les nouveaux publics qui ont été pris en compte au sein de différentes discussions, l’intelligence artificielle a été régulièrement abordée non seulement comme un nouvel outil mais aussi comme un défi constructif.

Qu’en est-il alors de cette jeune scène flamande ? Il faut se rendre en périphérie de Gand, dans le lieu animé qu’est De Centrale et son programme Young Curators, pour en avoir un aperçu. Grande révélation d’entrée avec la prestation d’Elis Floreen : s’il y avait peu de public lors de ce concert, la qualité était au rendez-vous, la jeunesse majoritaire dans la salle a succombé au charme de cette chanteuse. Comme elle l’annonce, Elis Floreen fait des chansons qui traitent de tout, mais quelle magie que sa voix capable de passer de comptines douces à une puissance étourdissante. Soutenue par un guitariste, une bassiste qui jouait pour la première fois avec le groupe et une claviériste, Elis Floreen est passée par des climats folk imprégnés par Neil Young ou Joni Mitchell sans négliger l’avant-gardisme qui correspond bien à cette nouvelle génération touche-à-tout. Belle découverte.

Le trio Bodem se dirige plus vers l’expérimentation, Anke Verslype excelle dans des phrasés énergiques à la batterie, Willem Malfliet laisse exploser sa fougue à la guitare mais c’est Adia Vanheerentals qui, en plus de composer, envoûte par ses interventions aux saxophones soprano et ténor. Incontournable, le Hot Club Gent qui, depuis 2005, est animé par l’infatigable Waso De Cauter propose pas moins de cinq concerts par semaine. Ce soir, le free est à l’honneur avec le groupe Terre Sol Four de Karen Willems à la batterie et au chant qui dynamite l’ambiance dans ce petit club bondé. Le duo Marc De Maeseneer au bugle et Vincent Brijs au saxophone ténor se révèle être la front line idéale mais c’est bien aux saxophones barytons conjugués que ces deux musiciens excellent. Prestation stupéfiante.

Liv Andrea Hauge EJC 2024 © Mario Borroni

Les concerts qui ont lieu au Music Centre de Biljoeke se révèlent extrêmement différents. Le trio norvégien qui a remporté le Prix Zénith 2024 dédié aux artistes émergents mérite à lui seul des éloges, Liv Andrea Hauge est constamment inspirée, son jeu pianistique ne s’embarrasse d’aucune fioriture et sa musique offre une rare limpidité. Fredrik Luhr Dietrichson explore le registre de sa contrebasse avec détermination, bien secondé par les variations dynamiques proposées par le batteur August Glännestrand. Le public en redemande.

Eve Beuvens présente Lysis, son dernier projet dédié aux poèmes de Robert Frost et d’Edna Millay, récemment paru sur Igloo Records. Les accords sobres du piano s’entremêlent avec les effets électroniques de Lynn Cassiers au chant éthéré et Lennart Heyndels à la contrebasse. Ce dernier apporte à cette musique une corporalité bienvenue. En dépit de son économie de moyens, le trio de Wajdi Riahi ne laisse pas indifférent, les compositions sont à la fois simples et raffinées. Les interventions vocales du pianiste apportent un parfum oriental savoureux. L’entente rythmique entre le contrebassiste Basile Rahola et le batteur Pierre Hurty captive l’auditoire. Le mariage entre jazz acoustique et musiques traditionnelles de la Tunisie s’accomplit.

La curiosité insatiable de cet intervenant envers les différentes musiques actuelles témoigne du bouillonnement positif qui anime la nouvelle génération.

Les concerts qui se déroulent dans le bâtiment monumental du Handelsbeurs ont bénéficié d’une excellente acoustique. Le programme des Ha Concerts propose une véritable diversité.

GingerBlackGinger EJC 2024 © Geert Vandepoele

GingerBlackGinger, tout d’abord, place la barre très haut. Quatre voix originales, Frans Van Isacker passionnant au saxophone et à la clarinette, Frederik Leroux inventif à la guitare, Yannick Peeters enjôleuse à la contrebasse et Samuel Ber qui marche dans les pas de Paul Motian à la batterie. Les contrechants et l’atonalité de leurs improvisations enchantent.

Stéphane Galland et sa formation The Rhythm Hunters déploient une énergie communicative, la bassiste Louise van den Heuvel fait forte impression et l’excellente section de cuivres irradie la musique par des interventions remarquées à la trompette de Pierre-Antoine Savoyat . On retrouve Wajdi Riahi qui structure cet orchestre sous les yeux rieurs du batteur.
À l’opposé, loin des sentiers battus, De Beren Gieren va bouleverser les codes. Ce trio compose de manière linéaire, refusant les aspérités propices aux changements de tonalité. Les claviers de Fulco Ottervanger assènent des mélodies claires et son usage de l’électronique fait nettement référence à la formation germanique Can. Les rythmes surprenants de Lieven Van Pée à la contrebasse et de Simon Segers à la batterie démontrent que des trouvailles sont possibles dans le jazz contemporain.

Enfin, comment ne pas être conquis par les effluves de blues habilement contournés dans le quartet de Julien Tassin ? Ce guitariste va passer d’accords hérités d’un jazz des années soixante à un rock électrique dévastateur ; il avance, cherche, fait rebondir les morceaux à grands coups de médiator. Deux piliers indissociables donnent ici le meilleur d’eux-mêmes : le trompettiste Hermon Mehari, très lyrique, et le puissant contrebassiste Nicolas Thys qui a fait ses preuves avec Mark Turner et Kenny Werner.
Mais c’est bien une figure locale incontournable qui relance la machine par son expérience musicale, le grand batteur Dré Pallemaerts qu’on ne présente plus. Son jeu polyrythmique associé à une grande souplesse de frappe fait forte impression et, dans la salle, beaucoup de jeunes gens sont happés par sa prestation. Ce face-à-face entre des figures tutélaires et des jeunes musicien·ne·s qui débutent s’avère convaincant et entre pleinement dans l’esprit de cette édition de l’EJC.

Panel Debate avec (à droite) Kateryna Ziabliuk © EJN

Le samedi 14 septembre, la conférence attendue Tomorrow Comes Today a permis d’obtenir des échanges galvanisants autour d’enjeux primordiaux dans la salle du Music Centre De Biljoeke. Cette ultime séance plénière animée par Anna Umbima a permis de prêter une oreille attentive aux jeunes gens impliqués pour l’avenir de la planète et ses divers effets sur l’écosystème musical.

Kateryna Ziabliuk, pianiste et compositrice basée en Pologne est née à Kiev. Elle est co-fondatrice et éditrice du magazine Meloport. Nul mieux qu’elle ne pouvait évoquer la scène musicale ukrainienne, sachant que son travail éducatif à destination des jeunes musicien·ne·s d’Ukraine revêt actuellement une importance capitale.

Chanteuse, compositrice et activiste, Frederike Berendsen s’efforce de minimiser l’empreinte écologique des tournées de musicien·ne·s en passant par la distribution musicale. Avec des artistes, des professionnels de l’industrie et des scientifiques de l’environnement, elle a créé la branche néerlandaise de Music Declares Emergency, une organisation internationale appelant à une action climatique immédiate. Ce sont l’humour contagieux et les questionnements pertinents de Fatih De Vos qui ont interrogé le public, lorsqu’il a rappelé ses origines modestes, les problématiques issues de sa binationalité et les difficultés qui ont jalonné son parcours. Originaire de Gand, ce rappeur, écrivain, sociologue et animateur de jeunesse s’est vite engagé auprès des plus démunis dans la société. La curiosité insatiable de cet intervenant envers les différentes musiques actuelles témoigne du bouillonnement positif qui anime la nouvelle génération.

L’équipe du Budapest Music Center © EJN

Moment solennel, le lauréat du treizième prix EJN pour la programmation aventureuse a été attribué au Budapest Music Center (BMC) en Hongrie. Cette récompense valorise un engagement fort développé au fil des années en faveur de la création de programmes musicaux visionnaires et fascinants pour le public.
Riche d’enseignements et de rencontres internationales, cette édition de l’European Jazz Conference a été parfaitement gérée par la structure organisatrice. Charlotte Lootens se doit d’être remerciée pour son aide précieuse. Le Directeur Général Giambattista Tofoni ainsi que les membres du Conseil d’Administration de l’Europe Jazz Network peuvent être satisfaits de cette réussite totale.