Eric Prost
Un entretien avec Eric Prost, leader du trio LOOPS.
Le passage de LOOPS en Egypte, pour deux concerts dans le cadre du festival Scènes de Jazz organisé par le Centre français de Culture et de Coopération nous a donné l’occasion d’un entretien avec son leader, Eric Prost. Il nous en a dit un peu plus sur la musique de ce trio dont la démarche mérite d’être connue.
Entretien réalisé le 10 décembre 2003 au Théâtre Al Gomhoria.
Les origines de LOOPS se situent à Villeurbanne où un groupe de musiciens décide de fonder le Collectif Mu. Peu de temps après sa création, en 1994, le Collectif Mu crée le Crescent Jazz Club de Mâcon, lieu privilégié de rencontres, d’ateliers et de festivals de jazz. C’est dans ce cadre qu’en 1998, sous l’impulsion du saxophoniste ténor Eric Prost, se forme le trio LOOPS, avec François Gallix à la contrebasse et Stéphane Foucher à la batterie.
- Pourquoi avoir appelé ton trio LOOPS ?
- LOOPS - © Vincent Delorme
- François Gallix (b), Eric Prost (ts), Stéphane Foucher (d)
LOOPS signifie « boucles » en anglais, et c’est autour de ce concept que le trio travaille. On comprend LOOPS au sens de mouvements circulaires continus. Une spirale mélodique et rythmique. Le tournoiement des notes. C’est l’évocation de notre axe de recherche musicale.
- En écoutant tes propos, on pense inévitablement à John Coltrane ?
Evidemment c’est une référence constante pour LOOPS. Le point de départ de notre quête musicale. On veut construire nos compositions et développer les thèmes autour de cette idée de progression circulaire.
- D’où également le nom du Crescent Jazz Club à Mâcon ?
Egalement, oui. Crescent est un hommage direct à John Coltrane. Comme on peut aussi le voir sur le site internet de Mu Production.
- Comment situerais-tu LOOPS par rapport aux différentes étapes musicales de John Coltrane ?
Je dirais que nous sommes entre sa période hard bop et sa période free ! Nous essayons de pousuivre des idées avant-gardistes tout en préservant le swing. En fait, nous cherchons à explorer la voie ouverte par John Coltrane dans la géométrie musicale.
- Tu parles également du « Son LOOPS », qu’entends-tu par là ?
Pour que la spirale musicale fonctionne et engendre une émotion, il faut créer une tension. Cette tension passe par le thème et son développement, mais aussi par la matière sonore. Avec François Gallix et Stéphane Foucher, nous travaillons beaucoup sur le son et la complémentarité sonore de nos instruments. Nous cherchons à équilibrer les voix de chacun des instruments. Nous voulons éviter que la batterie et la contrebasse ne servent de faire-valoir au saxophone ténor. Les trois instruments prennent la parole sur un pied d’égalité, sans qu’une des voix soit prépondérante. Pour développer notre propos et créer un « son LOOPS », nous avons aussi fait le choix de rester un trio exclusivement acoustique.
- C’est aussi le choix d’avoir constitué un trio sans piano ?
Oui, ça fait également parti du « son LOOPS ». Le trio sans piano est une formule assez rare en ce moment. Elle permet beaucoup de libertés. Mais ça correspond aussi à notre conception du risque musical. Jouer sans piano, c’est un peu jouer sans filet.
- Tu pensais également à Ornette Coleman ?
Bien sûr. L’absence de piano est importante pour la sonorité du trio, pour l’équilibre que nous recherchons entre nos instruments, mais ça laisse aussi beaucoup de souplesse à la section rythmique. En plus, ça nous permet peut-être de développer plus facilement une structure libérée de la contrainte des accords. Ce qui va tout à fait dans le sens du tourbillonnement musical…
- Quelle approche LOOPS développe-t-il sur le plan rythmique ?
Nous jouons beaucoup sur la métrique et les ruptures. Nous essayons aussi d’introduire des motifs obsessionnels. Tout cela pour créer cette ambiance de boucles, de « LOOPS ».
- Nous avons cité John Coltrane et Ornette Coleman comme sources d’inspiration ; LOOPS en a-t-il d’autres ?
François Gallix, Stéphane Foucher et moi avons joué dans beaucoup d’environnements différents et avec des musiciens très variés qui nous influencent forcément. Par exemple, je viens du rock, dont nous intégrons des éléments dans notre musique, notamment le rythme binaire que nous retraitons avec des métriques plus légères.
- Comment a évolué LOOPS ?
Au départ, François Gallix et moi avons commencé à jouer ensemble dans le Collectif Mu. Après avoir travaillé avec différents batteurs, nous avons eu un bon feeling avec Stéphane Foucher et, en 1998, LOOPS a réellement pris son envol. Aujourd’hui, notre connivence est parfaite et nous pouvons vraiment développer notre concept musical.
- LOOPS se présente souvent en concert, mais que dire de la discographie ?
Get High a été notre premier disque en studio. Nous l’avons auto-produit en 1999. Il s’articule autour de compositions de Steve Grossman, François Gallix, Stéphane Foucher et moi-même.
- D’autres projets ?
Beaucoup ! Après cette tournée avec l’AFAA, nous enregistrons un disque début 2004 dans le tout nouveau studio que nous venons de créer à Lyon.
- Comment distribuez-vous vos disques ?
A partir du prochain, nous les ferons distribuer sous licence pour toucher un public plus large qu’avec Get High.
- Tu souhaites ajouter quelque chose ?
Justement, concernant la distribution des disques et l’Internet. C’est complètement illusoire de vouloir freiner les copies pirates. C’est le sens de l’histoire. De toute manière les redevances perçues par les musiciens sur chaque CD vendu sont tellement faibles comparées au prix de vente d’un CD, qu’à moins de vendre des milliers d’exemplaires, ça ne peut pas être un gagne-pain ! Plus notre musique sera diffusée, et plus nous serons contents, quel que soit le moyen !