Voici presque une décennie que l’autrice Estelle Faye a publié ce roman chez « Les Moutons électriques », et un peu moins depuis sa sortie en poche. Désormais établie parmi les grands noms des littératures de l’imaginaire francophone, prenant un malin plaisir à jeter le trouble dans le(s) genre(s) sexué(s), l’écrivaine, née en 1978, se révèle dans ce conte post-apocalyptique comme une véritable amoureuse du jazz.
Certes, le héros queer s’appelle Chet et, en 2267, soit un siècle après la Fin du Monde, il chante du jazz dans des cabarets interlopes de ce qu’il reste de Paris - il peut même prendre le train pour… Juan-Les-Pins ! Pour autant, il ne doit pas son patronyme à Chet Baker - pour comprendre de quel Chet il s’agit, il faut se procurer le roman ! Les premières pages dévoilent un sens jazzistique rare dans le domaine de la « science-fiction » contemporaine : dans un club à l’atmosphère pour le moins délétère, le personnage principal s’apprête à monter sur scène alors que, dans sa loge, traîne une reproduction de la pochette de « Portrait of Chris », album oublié de la légendaire chanteuse Chris Connor, qui sut s’attirer, dans les années cinquante, les services du pianiste John Lewis ou du contrebassiste Oscar Pettiford (entre autres). Références à Nina Simone, Billie Holiday, Duke Ellington ou même Youn-Sun-Nah : question répertoire, Estelle Faye connaît son affaire.
Le jazz apparaît comme une bande-son sensible idéale pour cette dystopie mélancolique. La fluidité du style même a quelque chose de jazzy. Avec cette autrice, le jazz, comme le diable, se niche dans les détails et joue un rôle essentiel dans la nécessaire subversion de l’ordre familial traditionnel. C’est l’une de ses fonctions primordiales depuis ses origines et, avec ce livre, vers son avenir, fût-il imaginaire.