Scènes

House of Echo abat les murs à Vitrolles

Le quartet House of Echo d’Enzo Carniel était au Moulin à Jazz, le 3 octobre 2020


Marc-Antoine Perrio, Simon Tailleu (Gérard Tissier)

Ce soir-là, au Moulin à Jazz, c’est la première fois que le second album « Wallsdown » de la Maison de l’Echo est joué live. Ce n’est certes pas la première fois que son génial architecte, Enzo Carniel, foule les planches de la scène vitrollaise. Il est là un peu comme à la maison, d’ailleurs. Alors il va se lancer, avec ses compères, dans un travail de déconstruction en règle des limites sensorielles et sensibles du jazz actuel.

Enzo Carniel aux bols tibétains (Gérard Tissier)

D’emblée, le concert prend la forme d’un rituel simultanément organique et mécanique : les percussions chamaniques d’Ariel Tessier s’immiscent dans des infra-basses synthétiques malaxées par le guitariste, Marc-Antoine Perrio. Au piano, Carniel déroule des fils noirs et blancs comme s’il tissait des contes du futur hérités d’archaïsmes, dans des intervalles improbables, créant des mises en abyme somptueuses. Deux archets dessinent des lignes de force sur la scène : l’un, vertical, tenu par le guitariste, appelle les stridences quand l’autre, horizontal, dans la main droite de Simon Tailleu, creuse des sillons sensuels qui n’attendent que les semis des vibrations générées par l’orchestre. Son envie de jouer est telle que, en pizzicato, la tension infligée aux cordes impressionne et pourtant résonne comme une caresse, d’autant plus que sa main gauche percute la touche avec sensualité.
Les rythmes empruntent les chemins sinueux de l’électro, sans que jamais le souffle du swing ne s’évanouisse, par la grâce du jeu du batteur. La vibration des bols tibétains sous les doigts du maître de cérémonie n’obère en rien un bon vieux sens du blues quand le guitariste fait glisser un bottleneck sur les cordes de son instrument. Sur « Traya » (« cela veut dire « trois » en sanscrit », explique Carniel), le groupe semble dépassé par l’univers sonore qu’il crée, possédé par quelque trinité totémique. Le piano est-il possédé par quelque esprit lorsque le leader se lance dans une fugue en solo, sans commune mesure, modulant rythmes, harmonie et mélodies comme des séquences qui tantôt s’éloignent, tantôt se combinent ?

Ariel Tessier (Gérard Tissier)

« Open your Walls » : la voix, ici samplée, du rappeur Bruce Sherfield, intime comme en hors-champ aux musiciens d’amplifier leur tâche de déconstruction, rendant leur travail d’autant plus visuel. En rappel, le leader annonce « Sphere », une composition du guitariste issue du premier album du groupe : « Mon morceau préféré de tous les temps », déclare-t-il. Les mains calleuses du batteur tapotent les percussions ethniques, appelant un piano rugissant, qui finit par laisser l’espace à un solo de batterie, rituel jazz oblige.

Le public de la salle a beau être en demi-jauge, du fait des restrictions sanitaires, l’adhésion est entière, comme dans ces rites d’institution qui disent « Deviens ce que tu es ».