Chronique

Vijay Iyer Trio

Uneasy

Vijay Iyer (p), Linda May Han Ho (b), Tyshawn Sorey (dm)

Label / Distribution : ECM

Le docteur en sciences cognitives appliquées à la musique Vijay Iyer renouvelle le line-up de son trio. Avec rien de moins que la redoutable Linda May Han Ho à la contrebasse : quel plaisir de la retrouver en sidewoman, capable de tenir les murs de la maison en pleine tempête, et de ramener tout le monde à bon port à l’occasion d’un solo d’anthologie ! Quant au batteur Tyshawn Sorey, il se fait polyphonique plus que polyrythmique, tant son instrument chante dans des directions démultipliées. Le trio dépoussière un répertoire que le pianiste avait commencé à esquisser il y a une vingtaine d’années.

Le jazz qui sort de l’interaction entre ces trois-là fait des étincelles. Ainsi du détricotage en règle de « Night and Day », passé à la moulinette 7/8 façon McCoy Tyner lorsqu’il joua ce standard avec Joe Henderson, lui conférant une dignité afro-américaine insoupçonnée. Ou encore de l’improvisation collective déroulée sur des motifs indiens sur « Configurations », manière d’insuffler une part des origines du leader dans le propos d’ensemble. De son compagnonnage avec le rapper Mike Ladd, le pianiste a choisi de proposer comme un remix instrumental en cinq temps de « Touba ». Traitant le jazz comme une musique revendicative, il parsème d’oxymores son « Children of Flint » (une référence à un scandale d’eaux contaminées dans la ville éponyme du Michigan), par un jeu simultanément angulaire et doux qui sème le trouble. Sur « Combat Breathing », composé en hommage à Eric Garner (qui inaugura la sinistre série des « I can’t breathe » lorsqu’il mourut étranglé par des flics de New-York il y a huit ans), c’est par un blues à 11 temps qu’il nous propulse dans cette tragédie aux accents de syncope.

Il y a comme une rigueur scientifique dans le jazz de ce trio, mais elle est toujours au service d’une émotion débridée et d’une quête de justice universelle.