À l’image de son instigateur qui pose solennellement sur la pochette du disque, cette suite musicale est rayonnante. Franco D’Andrea va sur ses 83 ans avec grâce ; son esprit fin le conduit depuis des décennies à analyser l’histoire du jazz et les structures qui en découlent. Son intérêt pour les inventions musicales du vingtième siècle est intimement lié à ses expériences aussi bien au sein du Modern Art Trio qu’avec Perigeo qui le voit adopter le piano Fender Rhodes. Les rencontres décisives avec des musiciens planétaires jalonnent son parcours artistique : Gato Barbieri, Max Roach, Steve Lacy, Johnny Griffin, Jean-Luc Ponty. Sketches Of The 20th Century offre une perspective harmonieuse entre le jazz d’un siècle passé et les inventions d’Anton Webern, d’Alban Berg, compositeurs de la seconde école de Vienne.
Pour mener à bien cette tâche complexe, Franco D’Andrea a juxtaposé un octet de solistes aguerris qui connaissent sa carrière jazzistique avec huit musicien·ne·s du Parco Della Musica Contemporanea Ensemble, le tout dirigé par Tonino Battista et arrangé par Eduardo Rojo. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le mariage est réussi : le pianiste dévoile des improvisations originales portées par le déploiement orchestral, comme dans la pièce d’ouverture « Triadic Fragments ». Les compositions et improvisations s’orientent naturellement dans une conception préétablie qui n’exclut aucunement les rebonds harmoniques et rythmiques. L’espace dédié aux solistes se manifeste comme dans « P5 » où la contrebasse de Gabriele Evangelista s’invite dans une atmosphère schönbergienne. Sur « m2+M7 ( New Version) », la dynamique véhiculée par le trombone et l’assemblage sonore renvoie aux couleurs orchestrales de Gil Evans ; les ponctuations de la batterie sur un tempo lent sont habilement soulignées par les cordes. L’évocation des grands orchestres qui ont laissé une trace indélébile se manifeste dans « Augmented Area » où surgissent des riffs évocateurs de Claude Thornhill et George Russell alors que les traits architecturaux de Franco D’Andrea s’épanchent avec éclat. Thelonious Monk est suggéré habilement dans « Six Bars » et ce sont les cuivres qui dynamisent cette pièce, montrant l’habileté avec laquelle Franco D’Andrea a toujours su développer un propos semé de cassures rythmiques.
Des parfums de blues ainsi que des phrasés de piano stride du début du vingtième siècle apparaissent dans les séquences sérielles et polymodales ; ces textures sonores complexes enrichissent l’écriture des pièces musicales. Notons que les albums solo Dialogues With Super-Ego et Es, parus au début des années 80, anticipaient déjà l’usage des block chords dont Franco D’Andrea se sert pour accentuer les tensions harmoniques.
Cette œuvre entrelace la musique dodécaphonique et le jazz sous ses différentes formes, qu’elles soient dansantes ou atonales. Le tout se conjugue avec l’intérêt pour la psychanalyse qu’a développé Franco D’Andrea durant sa vie. Sketches of the 20th Century est porteur d’une dimension ethnomusicologique qui décuple le plaisir de l’écoute.