Chronique

François Bourassa

François Bourassa Trio + André Leroux – Live

François Bourassa (piano), Guy Boisvert (basse), Yves Boisvert (batterie), André Leroux (saxophones ténor et soprano, flûte).

Label / Distribution : Effendi Records / Abeille

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la parution du premier disque du François Bourassa Trio, Reflet 1, qui avait d’ailleurs valu à la formation le Félix du meilleur album de jazz en 1986.

Complices de longue date, Bourassa et les frères Boisvert roulent donc leur bosse ensemble depuis un sacré bail et cela s’entend. Pourtant, en dépit de ce lien symbiotique qui s’est développé au fil des ans, leur musique – bel alliage de classicisme bop de bon aloi et de préoccupations héritées de la musique classique européenne – m’a pendant longtemps laissé relativement indifférent ; j’en admirais les indéniables qualités formelles sans parvenir à me laisser emporter. L’arrivée dans le groupe du formidable saxophoniste André Leroux (qu’on a connu notamment au sein du Wild Unit du guitariste Michel Cusson, autrefois d’Uzeb) a cependant tout changé, en conférant à leur oeuvre une vigueur nouvelle et bienvenue, ainsi qu’en témoignait l’album Cactus (Lost Chart) enregistré dans la foulée de leur extraordinaire prestation au Festival international de jazz de Montréal en 1998. Captation spectacle présenté au public somme toute plutôt discret du club Top of Senator de Toronto en mai dernier, cet enregistrement « en direct » permettra à ceux qui ne les connaissent pas de découvrir l’intensité et la puissance dont savent faire preuve ces « trois mousquetaires » du jazz québécois.

En fin escrimeur, Leroux (le d’Artagnan du groupe !) mène le bal avec l’aplomb dont on le sait capable. Stimulé avec intelligence et justessse par la dynamique section rythmique, son jeu au saxophone évoque ça et là l’énergie brute et la passion incantatoire d’un John Coltrane. Les quatre compères explorent ici un répertoire constitué majoritairement de compositions originales du leader auxquelles s’ajoutera au rappel un pot-pourri de thèmes monkiens (« Four in One », « Round Midnight », « Epistrophy » et « Trinkle Tinkle »). Intitulé « 30 octobre 85 », la plage d’ouverture se transforme néanmoins momentanément en une relecture fort inspirée d’« Afro-Blue ». Émule de Bud Powell, de Bill Evans également influencé par des compositeurs impressionnistes européens (Chopin, Debussy, Satie), François Bourassa se permet un coup de chapeau à feu Herbie Nichols, par le biais d’un diptyque dédié à ce frère spirituel de Thelonious Monk quelque peu négligé par les historiens du jazz moderne. On y notera d’ailleurs l’attrait que les musiques moyen-orientales et extrême-orientales semblent exercer sur Bourassa et Leroux (merveilleux de délicatesse à la flûte). En somme, cet excellent album s’inscrit dignement dans une trajectoire d’exploration et de renouvellement qui honore Bourassa et ses troupes.