Chronique

François Merville

O mago Hermeto

Francois Merville (dr, perc, électr), Christophe Monniot (s, kb), Gilles Coronado (g), Nicolas Le Moullec (b)

Label / Distribution : In Circum Girum

Considéré comme un des batteurs français les plus intéressants ayant émergé au début des années 1990, François Merville s’est fait remarquer par ses qualités de rythmicien exigeant au sein des formations de Louis Sclavis (qui fera de lui son batteur et percussionniste « porte bonheur ») ou de Vincent Courtois. Pendant plusieurs années, ce sont ses qualités d’accompagnateur attentif et rigoureux qui feront de lui une référence indiscutable sur la scène française. Ses collaborations marquantes avec de Bojan Z, Denis Badault ou Stephan Oliva prouvent par ailleurs de ses qualités de coloriste. Il faudra attendre 1995 pour qu’il révèle ses compositions personnelles au sein de son propre quintet La part de l’ombre entouré de musiciens de sa génération (album paru en 2000 sur le label Emouvance). En 2004, deux projets personnels prennent naissance : le duo Bat-jong et le quartet O mago Hermeto avec l’enregistrement, deux ans plus tard, du disque sur le label In Circum Girum.

Cette nouvelle formation est un hommage respectueusement décalé et moderne aux musiques d’Hermeto Pascoal, figure emblématique de la musique brésilienne dont l’univers mélodique, festif et jubilatoire devait constituer une inspiration évidente. Merville utilise quelques unes des compositions célèbres du maître et des morceaux spécialement écrits pour l’occasion. Il s’inspire des multiples facettes sonores et harmoniques permises par les thèmes originaux pour proposer sa propre vision d’une musique de création, sans tomber dans le piège indélicat de la simple relecture. Cet album est donc une sorte de retranscription très personnalisée d’une musique riche de reliefs et de timbres, qui ne se soucie pas de détourner les formes pour mieux les réinventer.

L’univers ainsi créé est pimenté par les sons et les couleurs qui l’inspirent (rock, électronique, musiques improvisées). L’enregistrement regorge de surprises inattendues et d’artifices en tous genres (peut-être dues à Laurent Dehors). La multitude des sonorités engendrées par la guitare de Gilles Coronado et les saxophones de Christophe Monniot agrémentent encore les climats traversés. Ces derniers sont d’ailleurs souvent contrastés, soit d’un thème à l’autre, soit au sein d’une même composition, avec des alternances de calme bienvenu, des phases d’hystérie (surtout lors des improvisations du saxophoniste) et des moments relevant du suspens absolu (« Une orange dans la rue » ou « L’hirondelle seulement ne fait pas l’été »). Les idées surgissent comme autant d’occasions de s’exprimer librement et font de cet album un chef-d’œuvre de musicalité incitant à la réécoute. Le tout est rendu possible par les propos inventifs de musiciens capables de retrouver la joie, la folie et l’expressivité voulues par l’écriture de Merville.
On appréciera les reprises follement arrangées de « Ilha das Gaivotas », « Era Pra Ser e Nao Foi », « Bebê » et « Chorinho pra Ele ». Les passages très rock dus à la rythmique soudée Coronado-Le Moullec sur « O silencio è de ouro » et « O Galo do Airan » démontrent l’authenticité du projet. On retiendra une belle improvisation à la guitare sur « Zurich » (on pense à Claude Barthélémy). Les effets électroniques inattendus de François Merville relèvent carrément de la sorcellerie (« A musica » et « Do ritmo da voz » rappellent la technique du frappé-parlé simultané développée par Paul Brousseau) !

Bel exemple de ce que peuvent apporter au jazz les influences et autres hommages, ce grand disque démontre chez François Merville, outre ses qualités de rythmicien, un incontestable talent de compositeur : une vraie… merveille.