Chronique

Stéphan Oliva

Stéréoscope

Stéphan Oliva (p), Claude Tchamitchian (b), Jean-Pierre Jullian (dm)

Label / Distribution : La Buissonne / Harmonia Mundi

Une longue histoire d’amitié et d’affinités réunit une fois encore Stéphan Oliva et Gérard de Haro au studio de la Buissonne pour ce Stéréoscope. Leur première rencontre remonte à 1990 : dans le studio où officie l’ingénieur du son et qui ne s’appelle pas encore La Buissonne, le pianiste enregistre son premier disque, qu’il a lui-même produit, avec un trio « régional » composé du contrebassiste Bruno Chevillon et du batteur Jean-Pierre Jullian. Au fil des ans, de Haro enregistrera treize des seize disques signés Oliva. Ce dernier a participé à la formidable aventure du Lousadzak sous l’égide de Claude Tchamitchian, mais aussi aux projets “sudistes” de Jean-Pierre Jullian sortis sur le label Emouvance, fondé par le contrebassiste… tout en continuant à créer son répertoire personnel et à proposer les musiques qui lui tenaient à cœur (Ghost of Bernard Herrmann, la musique du film de Pabst Loulou, Sept variations sur Lennie Tristano, Echoes Of Spring … ).

Les liens ne se sont jamais dénoués et Oliva retrouve ici ces mêmes camarades de jeu. Chacun trouve aussitôt ses marques, au sein d’une complicité originale et exigeante. Chaque nouvel échange complète le tableau en apportant sa variation à l’univers particulier, poétique et intemporel de l’artiste, dans une veine mélancolique qu’il assume et transcende. Cette musique, par ses harmoniques et ses couleurs, distille le plus souvent une secrète tristesse, comme dans « Cécile seule », pièce qu’Oliva a souvent reprise depuis sa création (sur Itinéraire imaginaire. On retrouve les chants crépusculaires, les visions oniriques qui sont sa marque, comme autant d’images d’un monde flottant, mais aussi des giclées, des éclats de free soutenus par la batterie frémissante de Jullian. Souvent, dans des phrases contenues, rondes encore, se dévoile la menace d’une explosion : la sonorité est pleine, et une intensité sans autre vibration que celle des cordes sensibles traverse ces pièces difficiles, inquiétantes parfois. De ballades rêveuses en modernes dissonances, de cadences fluides en dérives mélodiques se crée tout un répertoire pianistique : élégance du trait, irisations renvoyant aux délicates impressions et aux flamboiements de la musique française du début du XXè, ainsi qu’à Bill Evans, bien sûr, mais avant tout à la personnalité même de Stéphan Oliva…

A l’inspiration jaillissante, le musicien préfère les maturations lentes, les gestes répétitifs, les coulées obsédantes (« Portée disparue », « Bangkok »). On le dirait embarqué dans une progression que rien ne saurait entraver, un parcours labyrinthique. Un espace de liberté absolue. Sans s’encombrer de nostalgie, le trio s’attache à traduire la circulation du sens poétique. On ne s’ennuie jamais et pourtant c’est la même petite musique qui continue à nous émouvoir, à vriller nos sens, à s’insinuer lentement en nous, pour l’éternité. Car Stéréoscope renvoie bien sûr, de par son titre même, à la photographie en relief, cet espace d’images en trois dimensions qui peuplent nos rêves et pensées les plus intimes.