Chronique

Giovanni Mirabassi Trio

Live @ the Blue Note, Tokyo

Giovanni Mirabassi (p), Gianluca Renzi (b), Leon Parker (dm)

Label / Distribution : Io production

Comment on nous parle.

On ne peut écouter le dernier disque du pianiste Giovanni Mirabassi sans se réjouir, ressentir les joies multiples qui le parcourent. Cet enregistrement, réalisé au Blue Note de Tokyo avec le contrebassiste Gianluca Renzi et le batteur Leon Parker ne cesse, à chaque mesure, de nous parler. Parce qu’il nous emporte dans ses élégances, dans ses brillances, ses enthousiasmes. On ne peut l’écouter autrement qu’en étant non pas attentif mais prêt à recevoir ce que le jazz, cette musique en perpétuelle réinvention [1], donne sans retenue, en toute liberté, chaque fois qu’il se joue, chaque fois que ceux qui le jouent savent se mettre en jeu.

Il y a bien sûr maintes façons de parler à autrui, de ommuniquer avec lui. Certaines ne sont pas toujours bien intentionnées. Parfois, on use même de tous les artifices pour parvenir à ses fins ; ceux du « marketing », par exemple, qui n’est pas bien loin de la « communication » (à moins que ce ne soit l’inverse), quand il ne s’agit pas purement et simplement de manipulation. Ne croyez pas que la musique échappe à ces façons de parler-là. Ni que le jazz soit exempt de ces travers et ces perversités. Mais si la musique est la musique – à savoir un art – alors ce que nous avons à dire, ce qu’elle a à dire, et sa façon de le dire, ne peuvent pas tromper.

Il ne suffit pas de dire qu’on joue avec sincérité pour être perçu comme sincère. Si l’art est sincère c’est qu’il se donne - c’est lorsqu’il se donne - comme une évidence. Et parce qu’il ne peut se donner autrement. Il n’y a donc aucun mérite à être sincère ni, finalement, à être un artiste. Aucune « morale » dans cette démarche-là. C’est ce que sous-entend Shirley Horn par la phrase : « J’aime que ma musique me représente, qu’elle parle de moi. Moi, que puis-je dire ? Que j’ouvre mon cœur ? Mais c’est déjà fait, c’est dans tout ce que j’ai chanté. » [2] Le musicien n’a même pas à parler de lui. Ni à ouvrir son cœur : sa musique, c’est lui et il n’est rien d’autre qu’elle. Il y a tout de lui et de son cœur dans la musique, l’un et l’autre se confondent, car l’un est l’autre. Ni plus, ni moins.

Dans ce Live @ the Blue Note, Tokyo, Mirabassi et ses compagnons ne jouent pas leur vie, au sens où on se sacrifie - ce qui reviendrait simplement exprimer ses ses peines, ses douleurs, ses blessures. Ils ont au contraire choisi l’autre face de la vie, sachant que les deux sont intimement liées ; l’une est possible seulement parce que l’autre est tout aussi réelle. Ils ont donc opté pour celle que le jazz a choisie plus souvent qu’on ne le dit et décidé de parler des bonheurs, des rires, des éclats qui scintillent et fascinent, des soleils qui brillent, si possible pour tout le monde. Contrairement aux idées reçues, ça n’est pas la voie la plus facile. En tout cas à la hauteur où Giovanni, Gianluca et Leon s’élèvent ensemble. Là où se trouve la beauté des mélodies, des rythmes qui dansent ou nous permettent d’attendre que les heures, doucement, s’écoulent ; la beauté de l’accord qui se construit sans faille entre les trois musiciens. Mieux encore, la hauteur de la pureté du geste, de l’intention de dire vrai, de chanter la vie telle qu’elle va quand elle va bien. C’est-à-dire pas chaque fois que le soleil se lève.

Il est heureux que pour nous parler, des musiciens, aujourd’hui, aient choisi la lumière et les reflets les plus clairs du jazz, ceux que le bonheur, l’amour, l’amour de la vie rendent possible. S’ils nous disent « My Broken Heart » c’est sans désespoir. Et là où se trouvent « Gold and Diamonds » (si les titres de ces neuf « chapitres » veulent eux aussi dire quelque chose - et pourquoi leur dénierait-on cela ?), on devine parfois une hésitation, une légère retenue, comme si ce trésor, il fallait l’admirer à distance. Afin, sans doute, de ne pas ternir son éclat. Pour mieux le savourer, peut-être.

Leon Parker dit parfois qu’il « joue sans mentir » ; cela vaut pour toute la musique de ce trio. A chaque note, ce soir-là à Tokyo, résonnait sans doute la musique, le jazz quand il parle vraiment. Quand il nous parle. Il suffit alors de se donner à lui. De s’y adonner. Car c’est ainsi, en parlant, qu’il s’offre à chacun d’entre nous. Alors certains bonheurs parviennent jusqu’à nous.

par Michel Arcens // Publié le 6 décembre 2010

[1Ici les neuf thèmes sont des originaux, six signés du pianiste, deux du bassiste et un du batteur.

[2Cité par Thierry Pérémati « La brûlure du désir » in Jazzman n° 67 mars 2001.