Chronique

Grégory Ott

Parabole

Grégory Ott (p).

Label / Distribution : Jazzdor Series

On n’ira pas jusqu’à dire qu’à toute chose malheur est bon, parce que l’annulation d’un festival pour cause de pandémie n’est rien d’autre qu’une très mauvaise nouvelle. Jazzdor Strasbourg-Berlin avait dû renoncer en 2019, en attendant des jours meilleurs. Toutefois, cet arrêt brutal fut l’occasion de ranimer le label Jazzdor Series, plus ou moins inactif depuis quelques années, histoire de maintenir tendu le fil ténu de la vibration musicale, sous l’impulsion de Philippe Ochem.

Le premier musicien à l’honneur de cette reprise aura été Grégory Ott, qui s’est installé au Studio Recall de Pompignan, seul au piano, au mois d’octobre 2020, pour enregistrer cette Parabole. Seul, enfin, pas vraiment puisqu’en très bonne compagnie, celle de Wim Wenders et Peter Handke et du film Les Ailes du désir. Tout comme le réalisateur qui avait tourné son film au jour le jour, sans en connaître la fin, le pianiste a laissé libre cours à son inspiration, porté par un onirisme né de ce que l’œuvre de Wenders avait imprimé en lui. À l’exception de « Angel Eyes », standard des années 40 lui-même utilisé dans un film (Jennifer – 1953), toute la musique est signée du pianiste.

Il n’est pas si simple de traduire en mots ce que cette belle dérive aux couleurs nocturnes inspire à celui ou celle qui la découvre. Ce qui est vrai pour soi ne l’est pas forcément pour les autres. Surtout, l’exercice du piano solo, au-delà de sa dimension purement musicale, est aussi celui d’une introspection et d’une convocation de l’imaginaire. Alors laissons ici quelques traces impressionnistes seulement. Parabole est une plongée dans l’inconnu, une acceptation de l’incertitude qui vise à l’exposition de ce qui vibre au plus profond, sans tomber dans le piège du narcissisme. À ce jeu complexe, Grégory Ott s’avère un compagnon d’une grande sensibilité, qu’on suit en fermant les yeux. On se laisse porter, cette part d’abandon se révélant la clé d’un voyage au cours duquel défilent des images. Elles peuvent être celles de Berlin, bien sûr (le titre original du film étant Le Ciel de Berlin), mais aussi celles de toute ville que chacun de nous aura visitée, mû par des rêves ou des désirs, avoués ou non. Le rêve, oui, qui semble avoir guidé le pianiste qu’on suit en toute confiance, avec un réel bonheur. Rêve ou réalité, éveil ou songe, ombre ou lumière. Il n’est pas nécessaire de choisir. Grégory Ott lui-même n’a pas cherché à donner la clé de son énigme. Il s’est juste contenté d’offrir un très beau disque.