Chronique

Guillaume de Chassy, Daniel Yvinec

Wonderful World

Guillaume de Chassy (p) et Daniel Yvinec (b), avec aux voix : Shirley Alexander, Dean Anderson, Andy Bey, Henri Bramble, Esther Finkelstein, Sharon Finkelstein, Milt Hoffman, Michel Leonhardt, David Linx, Ilya Lushtak, Pat W. Rose et L.J. Twair.

Label / Distribution : Bee Jazz

Wonderful World est le deuxième volet d’un triptyque, dont le premier est consacré aux chansons françaises de l’entre deux-guerres. Dans Chansons sous les bombes, Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec avaient invité André Minvielle. Cette fois, le duo a convié moult personnes pour une fête très particulière...

L’idée de base est simple : se promener dans New York un micro à la main, demander à des passants de chanter a capella des chansons des années 30 à 40, et utiliser ensuite ce matériau comme base pour les développements du piano et de la contrebasse. Le résultat est séduisant : une douzaine de plages particulièrement vivantes (et pour cause !) pour un album gaiement nostalgique.

Dès le « Générique », un piéton nommé Milt Hoffman annonce la couleur : « I just loved that time », dit-il. On ne peut s’empêcher d’éprouver de la sympathie pour ses souvenirs, qui parsèment l’album et servent de fil conducteur : son épouse avait choisi « The Next Time I Love » pour leur mariage ; « Everything I Love » fut numéro un au hit parade à New York ; toutes les radios diffusaient « Then I’ll be Tired of You »... Et quand Milt Hoffman chante « The White Cliffs of Dover », sa voix grave, très légèrement chevrotante - le monsieur a quand même 86 ans -, va admirablement avec le sujet de cette mélopée (les bombardements nazis sur le Royaume-Uni). D’autres observations viennent également pimenter Wonderful World, comme par exemple Esther Finkelstein, qui introduit « Blue Evening » : « C’est une belle journée, c’est sympathique de vous avoir rencontrés, c’est merveilleux d’être ensemble, love you all ». Ou encore, après avoir chanté « As Time Goes By », Pat W. Rose qui déclame une tirade de Casablanca ! Avec ses allures de percussions, les bruits de la rue donnent parfois du relief aux chants, à l’image du chuintement des balai derrière « I Had The Craziest Dreams ». Enfin, le hasard a voulu que David Linx et Andy Bey passent devant le micro... S’ils se montrent évidemment très à l’aise dans cet exercice, les autres passants s’en tirent à coup sûr avec des accessits.

Aux chansons déjà citées s’ajoutent « Here’s That Rainy Day », « It Could Happen to You » (interprétée par Andy Bey), « When You’re Smiling », « Laura » et, bien entendu, « What a Wonderful World » (chantée par David Linx). A côté de ces « tubes », Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec ont co-signé quatre titres : le « Générique », « Here’s That Sunny Day » (le soleil après la pluie...), « It Happened to Us » (deuxième partie de « It Could Happen to You ») et « We Love That Things » (dérivée de « Everything I Love »). Quant à « Time Gone By », c’est un thème du pianiste, qu’il joue après « As Time Goes By ». Logique !

De Chassy et Yvinec ont des tête-à-tête passionnants, bien rythmés, et d’une mise en place impeccable. Le pianiste garde toujours la mélodie en ligne de mire et passe par tous les états d’âme : mélancolique dans le « Générique », enjoué dans « Here’s That Sunny Day », paisible dans « Then I’ll Be Tired of You », sévère dans « It Happened to Us », primesautier dans « We Love That Thing »... Dans la lignée de Keith Jarrett (« Blue Evening »), Guillaume de Chassy fait des digressions dans l’esprit de Lennie Tristano (« It Happened to Us »), voire de la musique contemporaine (« Time Gone By »). Chaud, énorme et boisé, le son de Daniel Yvinec met du baume au cœur des mélodies. Le contrebassiste joue sur tous les registres de l’intensité : léger quand il accompagne un chanteur (« What a Wonderful World »), grondant quand le soleil brille (« Here’s That Sunny Day »), profond dans la ballade (« Then I’ll Be Tired of You »), et plein de swing quand il question d’amour (« We Love That Swing »). Qu’elle marche (« Here’s That Sunny Day »), qu’elle coure (« When You are Smiling ») ou qu’elle « riffe » (« Générique », et la fin de « It Happened to Us »), la contrebasse joue un rôle clé dans ce Wonderful World.

Audacieux, sympathique et touchant, mais aussi remarquable pour les duos entre Guillaume de Chassy et Daniel Yvinec, Wonderful World est un disque d’automne qui ensoleillera tout l’hiver !