ONJ Yvinec : Autour de Robert Wyatt (23 mai 2009)
L’ONJ Yvinec franchit la barrière de l’enregistrement pour lancer sur la scène son projet « Around Robert Wyatt ». Après ce disque remarqué, voici maintenant sa version live à laquelle nous avons choisi d’adosser la publication d’un beau livre qui célèbre les textes du musicien anglais.
L’ONJ Yvinec franchit la barrière de l’enregistrement pour lancer sur la scène son projet « Around Robert Wyatt ». Après ce disque remarqué, voici maintenant sa version live à laquelle nous avons choisi d’adosser la publication d’un beau livre qui célèbre les textes du musicien anglais.
1. En scène
ONJ Yvinec – Maison des Cultures du Monde, Alliance Française – Paris, 23 mai 2009
Deuxième visite de l’Orchestre National de Jazz à la Maison des Cultures du Monde, boulevard Raspail, après un concert donné en 2006 sous la direction de Franck Tortiller qui, ce soir-là, avait avancé les premières pièces de son échiquier musical, consacrées à la musique de Led Zeppelin.
Mais sous un même nom, c’est une toute autre formation, cette fois placée sous la direction artistique de Daniel Yvinec, qui célèbre une figure tutélaire de la musique anglaise. Au risque de réveiller l’amertume de quelques grincheux, trop crispés sur une vision du jazz étriquée. Pourtant, cet ONJ renouvelable démontre qu’il sait traverser les courants et se nourrir notamment de rock et de pop.
Ce n’est pas sans un certain questionnement qu’on aborde la première prestation scénique du projet Around Robert Wyatt. Projet, ou plutôt concept, qui consiste pour l’orchestre à enrouler et dérouler sa musique autour des voix enregistrées a cappella de personnalités venues d’horizons divers (Rokia Traoré, Yael Naïm, Arno, Daniel Darc, Irène Jacob, Wyatt himself). Car (comme on l’a déjà dit), la réalisation discographique est une réussite éclatante, mais ce n’est pas gagné face à un public en attente de musique vivante. Même si, pour l’occasion, les musiciens appellent en renfort Erik Truffaz, fin connaisseur du répertoire du Grand Robert, et la créativité haute en couleurs d’Eric Vernhes, chargé d’improviser des images projetées en fond de scène.
- ONJ + Erik Truffaz © H. Collon/Vues sur Scènes
Ces interrogations se dissipent assez vite - après un départ un peu crispé : l’enjeu peut-être, les attentes des uns et des autres, la pression consécutive à l’enthousiasme soulevé par le disque… « Vandalusia » porté par la voix de Wyatt, est encore empreint d’un peu de raideur. Mais après cette retenue bien compréhensible, on perçoit de façon physique le sens à donner à l’idée sous-jacente : le cadre fixé étant contraignant, Yvinec doit résoudre pour ses musiciens l’équation imposée par un espace sonore peu extensible et une exigence de chorus courts, peu propices aux envolées. Il trouve une solution naturelle dans une rythmique puissante (Yoann Serra, béquilles et batterie ; Sylvain Daniel, basse électrique, plus un Julien Omé qui remplace Pierre Perchaud à la guitare électrique et au banjo) avec des intonations clairement rock. En d’autres termes, comme l’ONJ dispose de peu de surface sonore, Yvinec choisit la propulsion verticale pour hisser sa musique et aller la lover autour des chants qui, eux, semblent comme immobiles. Un mouvement ascensionnel se dessine dans cette opposition, au point qu’on risquera un vilain jeu de mots en dévoilant l’existence d’un « Haut NJY ». Avec une telle méthode de mise à feu, l’enchaînement des compositions coule avec aisance, la richesse des couleurs des arrangements (signés Vincent Artaud) est soulignée par les solistes successifs, brièvement mais avec intensité : « Alifib », « Rangers In The Night », « O Caroline », « Gegenstand ». Derrière les images défilent, inventent des couleurs, agitent les sons au gré de l’inspiration d’Eric Vernhes. Une belle idée qui n’est pas sans rappeler la version scénique d’Omry, le dernier disque/spectacle de Pierrick Pedron. Lui aussi a choisi l’illustration visuelle pour rehausser sa musique.
L’entrée sur scène d’Erik Truffaz est aussi un beau cadeau : une reprise de « Sea Song », absent de l’album. Formidable idée, en effet, que de ne pas plaquer de voix sur ce chant à gorge serrée qui reste une des pièces majeures de Wyatt. Aérienne, la trompette de Truffaz et ses effets portent la musique encore plus haut ; elle en devient presque planante, sa folie « colle parfaitement » à celle du compositeur [1] et crée l’envoûtement. La partie est gagnée. D’autant que certain(e)s ne se privent pas, sur scène, de faire le spectacle, tels Eve Riesser et son piano drôlement préparé, qui entament avec l’invité d’un soir un « Interlude » déstructuré. Peut-être pour mieux rappeler aux anciens qu’au temps de The End Of An Ear, Robert Wyatt savait lui aussi s’engager sur des chemins pas toujours carrossables pour nous taquiner les oreilles.
Après un premier rappel et une interprétation de « Del Mondo » [2], Daniel Yvinec monte sur scène, presque timide, pour présenter les musiciens et les confier une fois encore à la voix de Wyatt pour « Te Recuerdo Amanda » (Victor Jara). Le temps a passé très vite.
La jeunesse de l’orchestre ne lui permet peut-être pas de donner toute sa mesure, mais après tout, quoi de plus normal ? On ne saurait tout dire dès le premier concert ! En revanche, celle des musiciens est l’atout majeur de l’ONJ, au point que le remplacement de Matthieu Metzger par Jean-Baptiste Réhault au saxophone et de Pierre Perchaud par Julien Omé à la guitare ne crée aucun trou d’air. On a pu lire que le concert suivant (la soirée étant en deux parties à répertoire identique), marquait déjà une évolution sensible et laissait augurer d’autres concerts encore plus intenses.
Car cet ONJ-là est tout sauf routinier ; il porte en lui la capacité d’être rageur, expérimental et virtuose. Surtout, il ne mérite pas la condescendance un peu fielleuse de certains journalistes dont les écrits peuvent surprendre. Comme s’ils étaient perdus à l’idée que l’orchestre sorte de l’ancien cadre prédéfini et d’une coloration « jazzique »… qui n’existe peut-être plus que dans leur (manque d’)imagination. Faisons tout simplement confiance à cette formation, qui, elle, n’oublie pas de regarder au devant.
Daniel Yvinec (direction artistique), Vincent Artaud (arr.), Eve Riesser (p, fl, objets sonores), Vincent Lafont (claviers), Antonin-Tri Hoang (as, clb, p), Jean-Baptise Réhault (sax), Joce Mienniel (fl, électronique), Rémi Dumoulin (sax, cl), Guillaume Poncelet (tp, p, synth, électronique), Julien Omé (gt, banjo), Sylvain Daniel (elb, cor, effets), Yoann Serra (bt).
Invités : Erik Truffaz (tp), Eric Vernhes (création vidéo).
2. Et en pages…
Robert Wyatt, Anthologie du projet MW
Les amoureux de Robert Wyatt devraient en toute logique se précipiter sur un beau livre paru aux éditions Æncrages & Co en février 2009. Car cette Anthologie du Projet MW rassemble dix années de collaboration entre Jean-Charles Marchetti (peintre et… traducteur) et Wyatt. Durant cette longue période, tous deux ont échangé des courriers et se sont rencontrés pour peaufiner leur travail, qui allie dessin et littérature.
Un cadeau précieux sous la forme d’ouvrage regorgeant d’illustrations et de traductions de quatre-vingts chansons écrites par le doux et singulier chanteur poète anglais et son épouse, Alfreda Benge dite « Alfie ». Traduire Wyatt, sacré défi à relever qui s’apparente à un vrai travail d’équilibriste du verbe tant les textes originaux semblent impossibles à recréer dans une autre langue. Et pourtant, ça marche ! L’auteur, qui a su respecter l’esprit et la lettre, insuffle à ses traductions la folie douce de Wyatt, et tant pis si, çà et là, on ne comprend pas toujours ou si on bute sur un néologisme. Il ose même, au détour d’un texte, avouer qu’une traduction ne serait pas raisonnable et que seule sa version originale peut être présentée. Ici, tout semble s’éclairer ; le livre donne envie de remonter à la source et de goûter le monde bariolé et engagé du compositeur, dont certains manuscrits, ici reproduits, deviennent autant d’objets d’art. Cette anthologie est un must à acquérir avant qu’il ne devienne une pièce de collection.