Chronique

Hamid Drake & Bindu

Reggaelogy

Label / Distribution : Rogue Art

Le 29 janvier dernier, chance nous a été donnée d’entendre Hamid Drake et la nouvelle formule de Bindu [1]jouer le répertoire de ce Reggaelogy en live. C’était pour l’ouverture de l’édition 2010 du festival Sons d’Hiver. Le disque était sorti deux jours auparavant, mais l’occasion faisant le larron, nous l’avons découvert sur scène. Un concert en tous points réussi : inventif, généreux, porté par un esprit de fête euphorisant.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le disque tient les promesses de la scène. Même intelligence des compositions, même énergie collective, même folie douce des moments improvisés alternant avec des thèmes splendides (« Hymn of Solidarity », « Take Us Home », où le guembri de Josh Abrams touche au sublime).

L’originalité de ce ce disque est, comme son titre l’indique, sa manière de se réapproprier l’héritage jamaïcain pour le faire dialoguer avec un jazz free déjà ouvert à toutes sortes d’influences africaines. A l’arrivée, Reggaelogy n’est ni un disque de reggae, ni vraiment un disque de free jazz — plutôt une formule intermédiaire indéterminée qui aurait combiné l’ADN des deux styles pour faire jaillir une nouvelle musique, inédite.

La touche reggae est ici à chercher dans les détails : la langueur des thèmes (« Togetherness », « Kali’s Children No Cry »), la guitare (le plus souvent rythmique, nimbée de wah wah et de flanger) de Jeff Parker, qui d’habitude préfère la limpidité des phrases déliées, la batterie qui pose une pulsation binaire pour mieux tresser tout autour des moments de virtuosité étourdissante.

Plus loin, c’est tout l’héritage africain qui est convoqué : par quelques notes de guembri, une phrase de contrebasse (« The Taste of Radha’s Love »), ou le jeu conjugué des deux trombones passant sans crier gare d’un thème au lyrisme discret à des échanges où seul compte le souffle expectoré dans l’instrument. Entre puissance du son, voire du bruit (quelques moments de saturations dissonantes à la guitare, du meilleur effet) et beauté des mélodies, le groupe trouve un équilibre parfait, qu’il aime à construire autant qu’à bousculer. Reggaelogy est un disque sans faiblesse, qui poursuit avec brio et audace l’aventure d’un jazz décloisonné et en liberté.

par Mathias Kusnierz // Publié le 15 mars 2010

[1Hamid Drake (dm, frame drum, tabla, voc), Napoleon Maddox (voc, beatboxing), Jeff Parker (g), Jeff Albert (tb, orgue hammond), Jeb Bishop (tb), Josh Abrams (b, guembri)