Chronique

Philippe Léogé - Jean-Marc Padovani

Angel Eyes

Philippe Léogé (p), Jean-Marc Padovani (saxes)

Label / Distribution : Soléart

L’écoute parfaite

Entre le solo et le trio, le quartet, le quintet, voire les formations dites « en grand orchestre », dont le nombre peut sensiblement varier, il y a cet art si risqué qui est celui du duo. Un art particulièrement difficile : plus que les autres, peut-être. Parce que ce qui se passe (ou parfois ne se passe pas) entre les protagonistes y est essentiel - ou en tout cas bien plus audible que dans toute autre circonstance ; mais plus encore parce que le duo c’est, précisément, être avec l’autre et rien de plus, Et parce qu’ici seulement la réciprocité, évidente, ne peut se partager. Elle ne se dissout, ne s’estompe jamais au profit de quoi que ce soit d’autre. En ce sens, l’art du duo repose dans son principe même sur l’entente, une entente qui ne souffre aucune défaillance. Car alors, il n’y aurait rien pour la « rattraper », la faire oublier : c’est la musique qui en pâtirait, inexorablement.

C’est ce qui apparaît en toute clarté sur cet Angel Eyes que signent le pianiste Philippe Léogé et le saxophoniste Jean-Marc Padovani, fruit d’une tournée commune au printemps 2011 (Soléart productions), un voyage à deux entre un hommage initial à Thelonious Monk intitulé « Silence ! Monk tourne » et le titre éponyme, « Angel Eyes », en passant par la première « Gymnopédie » de Satie revisitée, la « Spiral Dance » de Keith Jarrett, un « Air afghan » ou une très occitane (les deux musiciens vivent à Toulouse) « Vespre de la noça ».

Ce qui frappe le plus, et dès les premières mesures, tant elle est intense, dans ce périple musical et comme géographique, parfois - entre influences orientales, « ultra-locales », ou nord-américaines - c’est ce qui anime la rencontre entre piano et saxophone, l’unicité évidente qui se trouve en son cœur et qui, bien sûr, ne se découvre pas au bout du parcours musical, comme un but que l’on atteindrait à force de volonté, mais qui, au contraire, le fonde, qui en est l’origine.

Le souffle du saxophone de Padovani, la résonance du clavier de Léogé se confondent souvent - presque toujours, à vrai dire. Quand parfois ils s’opposent, c’est toujours avec pour but le partage. Si les destins des phrases musicales se séparent, c’est pour mieux se retrouver ; et ces écarts ne sont pas seulement provisoires, ils servent à refonder le retour vers la route commune. L’unique et l’unicité ne sont pas confusion mais distinction, affirmation, lorsque elles forment cette « communauté » qui les habite à chaque instant.

Il y a dans Angel Eyes une révélation : l’écoute est un des noms de l’origine de la musique, de sa nature, de même qu’un autre nom de l’écoute est l’entente. Qui n’est parfaite qu’en ces moments où l’écoute, comme sur ce disque, l’est aussi.