Chronique

Madeleine Peyroux

Standing on the Rooftop

Madeleine Peyroux (voc), Jenny Scheinman (vln), Christopher Bruce, Marc Ribot (g, bjo), John Kirby, Glenn Patscha, Patrick Warren (cl), Allen Toussaint (p), Meshell Ndegeocello (elb), Charley Drayton (dm), Mauro Refosco (perc)

Label / Distribution : Emarcy / Universal

On trouve toujours, dans les chants et les musiques de Madeleine Peyroux, depuis son premier album, Dreamland, paru en 1996 une sincérité qui ne se dément pas ici. Pour ce sixième enregistrement elle a réuni des musiciens venus d’horizons très divers, tels le guitariste Marc Ribot, le pianiste néo-orléanais Allen Toussaint ou l’excellente bassiste Me’Shell Ndegeocello. Tout cela grâce à l’appui de Craig Street, « aux commandes » de la production artistique, comme chez Cassandra Wilson ou Norah Jones.

Si le but est sans doute de rencontrer un public de plus en plus large, rien n’y est pour autant soumis aux impératifs du marketing. Les moyens mis en œuvre sont ceux des productions assurées par une « major ». Mais il serait absurde de s’en plaindre lorsque le résultat corrobore ce qui fonde la démarche artistique. Si Madeleine Peyroux a chanté dans les rues et sur les places de Paris et suscite aujourd’hui autant d’intérêt de la part de ses pairs et des grands producteurs, c’est qu’elle a un public. Or, il y a deux façons d’avoir un public : on lui donne soit ce que l’on est, soit ce que l’on pressent qu’il attend. Il est clair que la chanteuse a choisi la première voie, depuis le début, avec Careless Love, Half the Perfect World ou Bare Bones. Il suffit de l’écouter. La voir sur scène, dans toute sa simplicité, ne peut que renforcer cette certitude.

Madeleine Peyroux s’est fait connaître par le biais d’une comparaison - une drôle de comparaison, d’ailleurs : on disait qu’elle chantait comme Billie. On croyait presque réentendre cette voix connue et tant aimée. Et c’était beaucoup. Non seulement cela relevait du surprenant exploit mimétique, mais c’était émouvant car cela ne semblait pas relever d’un jeu artificiel. On percevait une conviction souvent absente chez d’autres chanteuses de sa génération. Mais ça ne faisait pas encore un répertoire. Ni une véritable chanteuse, une personnalité pleinement authentique et singulière.

Au fil des albums suivants - de beaux succès -, Madeleine Peyroux trace sa voie. Là encore, sans artifice. Mieux que ses consœurs actuelles elle est sait rester elle-même face au « système » et à ce qu’il faut bien appeler la réussite. On retrouve ici ce qui la rend attachante, simple, naturelle et spontanée. Standing on The Rooftop est pourtant plus raffiné que ses précédents disques ; il a certes bénéficié de plus de moyens, mais on y sent aussi plus de recherche, grâce notamment à la participation de musiciens de renom. S’y ajoute une innovation dans la démarche : Après la phase « mimétisme », que l’on peut comprendre comme une forme de révérence vis-à-vis des grandes anciennes, donc comme une façon de dire sa propre modestie (qui n’est rien d’autre que ce que nous avons appelé sa « sincérité »), elle se lance à présent dans l’exploration musicale et crée des climats inattendus. Ainsi sa reprise de « Love in Vain » du bluesman « des origines » Robert Johnson, plus connue dans la version de Carly Simon, tient de la « musique contemporaine post-moderne », pour reprendre ses propres termes. Une définition pas vraiment évocatrice. Ni tout à fait pertinente, d’ailleurs. Reste qu’elle franchit une étape en affirmant plus que jamais sa personnalité musicale. À sa manière : discrète, modeste, sincère. Authentique.

Si ce disque rencontre le succès commercial, il y aura des grincheux pour regretter que engouement ne récompense pas un artiste plus créatif, plus audacieux. Au contraire, réjouissons-nous qu’une chanteuse qui, au moment où elle est le plus soutenue par sa production, en profite pour aller de l’avant plutôt sans concessions, soit en tête des ventes. Car il y a de très belles choses sur Standing on the Rooftop : par exemple un déchirant « Martha my Dear » emprunté aux Beatles. Du jazz aussi ; et le jazz est une musique sincère. Comme Madeleine Peyroux.