Chronique

Herbie Nichols Project

Strange Cities

Frank Kimbrough (p), Ben Allison (b), Matt Wilson (d), Ted Nash (ts), Michael Blake (ss, ts), Ron Horton (tp), Wycliffe Gordon (tb).

Label / Distribution : Palmetto Records

Le Herbie Nichols Project, petit ensemble à géométrie et personnel variables, sort avec « Strange Cities » son troisième CD, consacré comme les autres (« Dr. Cyclops’ Dream » et « Love Is Proximity », sur Soul Note) à la musique de Herbie Nichols.

Nichols, mort de leucémie à l’âge de 43 ans en 1963, a peu enregistré sous son nom malgré la grande qualité de ces compositions, qui aurait pu faire de lui un des grands noms de sa génération à condition de bénéficier de quelques coups de chance qui, malheureusement, ne se sont pas produits. Ce compositeur et pianiste moderne et original a passé la majeure partie de sa carrière comme sideman dans des orchestres de Dixieland.

Malgré cette carrière ratée, son oeuvre fut reconnue par certains, par exemple Steve Lacy et Roswell Rudd, qui lui accordaient la même attention qu’aux morceaux de Monk. Il ne fut donc pas oublié, et depuis quelques années les hommages se suivent, notamment ceux de ce groupe.

En tant que leader jouant ses propres compositions, Nichols n’a enregistré qu’en trio. Une des spécificités du Herbie Nichols Project est d’en faire des arrangements pour un petit ensemble comprenant des souffleurs. Ici, on a deux saxophones, trompette et trombone en plus de la rhythmique. La combinaison heureuse de compositions riches et variées, arrangements efficaces, et instrumentistes de grande classe fait de ce recueil une franche réussite.

Chaque morceau a sa personnalité propre. Le CD s’ouvre avec « Moments Magical, » où une longue première partie sans rythmique est suivie d’un beau solo de soprano de Michael Blake. Le trompettiste Ron Horton s’acquitte admirablement de trois morceaux joués en quartette : le Monkien « Enrapture » ; « Strange City », plus romantique ; et « Shuffle Montgomery, » mordant et bluesy. « Karna Kangi » et « A Change of Season » sont interprétés par le trio Kimbrough/Allison/Wilson. Dans « Blue Shout, » Nash et Gordon s’affrontent et s’amusent, accompagné seulement par la basse et la batterie, dans une ambiance néo-orléanaise que Wynton Marsalis ne renierait pas. D’ailleurs, l’influence du maître de Jazz at Lincoln Center plane aussi sur les quatre morceaux en septette, dans la manière dont les harmonies et contrepoints pour les quatre voix mélodiques sont traités sur fond de section rhythmique souple et alerte (le batteur Matt Wilson est merveilleux). Que les anti-Marsalis ne s’inquiètent pas, ça ne veut dire ni passéisme ni fermeture d’esprit, mais simplement un certain classicisme.

N’oubliez pas non plus d’aller à la source, les enregistrements de Nichols lui-même. Sont disponibles « The Complete Blue Note Recordings », coffret de 3 CDs avec Al McKibbon ou Teddy Kotick à la contrebasse et Art Blakey ou Max Roach à la batterie, et « Love Gloom Cash Love », avec George Duvivier à la contrebasse et Danny Richmond à la batterie.