Scènes

Simon Nabatov à Chicago : un Russe et Monsieur Nichols

Le pianiste russe Simon Nabatov rend un vibrant hommage à Herbie Nichols.


Difficile de croire que le pianiste russe Simon Nabatov s’est produit pour la première fois à Chicago le 14 mai dernier. Même lorsqu’il vivait à New York dans les années 80 avant de se fixer à Cologne, l’occasion ne s’était jamais présentée pour lui. Son concert en solo a été une nouvelle occasion de faire du prosélytisme pour la musique d’un autre pianiste et compositeur sous-estimé : Herbie Nichols. Il semble en effet qu’après la disparition du tromboniste Roswell Rudd, Nabatov ait repris le flambeau pour se faire le chantre de la musique de Nichols.

L’entame du concert est une improvisation, une sonate déglinguée, stridente et spasmodique. Progressivement, on reconnaît la mélodie de « House Party Starting », une des plus mémorables compositions d’Herbie Nichols, que Simon Nabatov ré-harmonise et déconstruit à souhait. Il se livre ensuite à un jeu, comme prisonnier d’un riff obsessif dont il essaie de se libérer pour revenir enfin au thème.

Le pianiste enchaîne avec « East 17th Street » qui est en fait l’adresse où vivait le père de Nichols et où nombre de ses manuscrits et autres documents étaient entreposés avant qu’ils ne partent en fumée lors d’un maudit incendie. Nabatov commence par jouer à l’intérieur du piano, grattant les cordes pour évoquer une cithare. Il joue ensuite des phrases au clavier de la main droite qu’il reprend de la main gauche dans le ventre de l’instrument. Après un détour par un étrange boogie, le pianiste produit de grands mouvements dissonants avant de calmer le jeu et de revenir sereinement à la trame mélodique en égrainant les notes une à une.

Le 14 mai était un dimanche. Nabatov n’avait pas d’autre choix que d’interpréter « Sunday Stroll », une composition très rythmée inspirée du blues. C’est aussi le morceau avec lequel le pianiste prend le moins de libertés, le jouant avec autorité et assurance. Cela ne l’empêche pas de recourir à nouveau à la dissonance avant de ralentir le tempo et d’aboutir à une conclusion pleine de mélancolie.

Si beaucoup connaissent le « Lady Sings the Blues » de Billie Holiday, ils sont moins nombreux à savoir que l’on doit ce chef-d’œuvre à Herbie Nichols qui l’avait au départ intitulé « Serenade ». Une fois le thème exposé, Nabatov est presque à l’arrêt, choisissant chaque note après ce qui semble être une mûre réflexion. Il ramène petit à petit la mélodie à la vie avant de donner à sa musique une ampleur grandiloquente. Puis le calme revient et le morceau se conclut imperceptiblement, les dernières notes presque inaudibles. Du grand art. Le seul bémol de la soirée aura été la durée du récital : 45 minutes seulement, mais 45 minutes de bonheur.