Scènes

Cecil Taylor/Bill Dixon/Tony Oxley

Cecil Taylor continue son chemin avec son excellent trio actuel


Cecil Taylor, piano ; Bill Dixon, trompette et bugle ; Tony Oxley, batterie. Cité de la Musique, 25 octobre 2002.

Cecil Taylor par Dimitri Ianni - www.jazzvalley.com

Le trio composé de Taylor, Dixon et Oxley ne fait pas l’unanimité parmi les fans du pianiste. D’aucuns reprochent au trompettiste Bill Dixon de ne pas bien jouer, de ne pas être sur la même longueur d’onde, de casser l’interaction. Les mécontents ne les ont peut-être pas entendu un bon soir ; toujours est-il que le 25 octobre ils ont réussi à enchanter le public de la Cité de la Musique.

Le concert a démarré avec une partie en solo du batteur britannique Tony Oxley. Ce fut une belle prestation d’une vingtaine de minutes, assez abstraite, où il n’était jamais question d’une pulsion régulière, mais plutôt d’une exploration des sons de la batterie. Oxley parti, Cecil Taylor est entré sur scène, avec des pas de danse rapides, heurtés et espiègles. Tout en dansant il récitait des vers de sa composition, peu compréhensibles, parfois véhéments, parfois chuchotés ou dits en riant et qui semblaient alterner entre l’anglais et une langue inventée. Cette poésie et cette danse, qui semblent personelles jusqu’à être secrètes, sont tout de même dans le droit fil de son jeu : un flux rapide de voix et de gestes contrastés, où la mobilité joyeuse et fière semble être la clé d’une mise en scène qui est passionante malgré ce qui peut apparaître comme une rigueur hermétique. Au piano, Taylor fut fidèle à l’image qu’on a de lui : l’ouragan du free, faisant déferler des vagues d’énergie sur le clavier, écrasant ses poings sur les touches ou au contraire faisant danser des lignes virtuoses à toute vitesse.

Après un entracte, ce fut à Bill Dixon de se présenter en solo. Dixon, figure historique du free jazz américain des années soixante - il fut l’organisateur du célèbre « October revolution » de 1964, un festival new-yorkais qui était une sorte de manifeste du mouvement - est un instrumentiste qui est tout sauf orthodoxe. A la trompette comme au bugle, il s’intéresse aux limites de la production du son, entre note et souffle pur. Ce soir, il a commencé par des bruits percussifs, beaucoup de souffle, puis des sons aigus urgents, avant de se recentrer sur de longues notes graves. Son moment solo fut bref, Taylor et Oxley venant bientôt le rejoindre.

Le travail en trio semblait être une improvisation libre. A 78 ans, Bill Dixon n’est pas aussi jeune et énergique que Taylor (73 ans) ou Oxley (64 ans) ! C’est peut-être cela, plus le côté lent et méditatif que préfère Dixon de toute façon, qui a fait que chez Taylor, l’ouragan de la première partie s’est transformé en respiration calme et profonde. L’énergie, plutôt que de déferler, s’est distillée pour en être plus concentrée dans une relation triangulaire où la trompette de Dixon servait de pivot. Taylor, à l’écoute de la trompette, réagissait aux mélodies et sons sculptés en étirant leur cadre minimaliste, ajoutant de la profondeur ou de la lumière, précisant les directions suggérées. Oxley, quant à lui, suivait Taylor au pas, anticipant ces débuts et fins de phrase, soulignant ou au contraire s’opposant à ses lignes. En cela il fut le modèle d’un batteur de jazz, que ce soit dans le swing ou le free. C’est cette communication entre les musiciens, et entre eux et le public, qui a fait la réussite de ce beau concert.