Scènes

Jazz’Velanet 2002

Compte rendu de festival


L’affiche du festival (création : Marc Mesplié)

Jazz’Velanet mériterait de s’intituler « Métis’Jazz », tant la volonté de mêler différents patrimoines musicaux y est claire. D’ailleurs, le jazz n’est-il pas, dès ses débuts, une musique (la musique) de mélanges, de rencontres, de croisements, de synthèse… ? C’est en tout cas la voie que Lavelanet, petite ville industrielle de l’est de l’Ariège traditionnellement vouée au tissage et à la filature, a choisi de suivre.

jeudi 31 octobre 2002 :
Indéniablement la meilleure soirée du festival !
1/ Les Enfants des Autres (Paris) : Michel Schick (cl, bcl, bs, comp), Nicolas Hochart (cl), Bertrand Belin (g, bjo, vl, comp), Pierre Le Bourgeois (cello), Orkhan Murat (dm, perc).
Ce quintet propose une musique « de chambre » très originale, aux confins du classique, du rock, du jazz, de la musique klezmer, pour un folklore imaginaire de partout et de nulle part. On pense (sans que ces influences puissent être considérées comme des plagiats) à Marcœur (mais qui se souvient encore d’Albert Marcœur ?), à Zappa, à Sclavis et au Marvelous Band parfois… Musique très narrative, semblant illustrer une BD ou un film d’animation, raconter une histoire un peu folle et souvent marrante.

2/ E.S.T. (Suède) : Esbjörn Svensson (p), Dan Berglund (b), Magnus Öström (dm).

Dan Berglund (b) (Ph. Fréchet)

Ce trio suédois a beau s’épeler E.S.T., il n’en perd pas le nord pour autant… Le pianiste avoue une influence de Jarrett et/ou de Corea : elle est avérée, mais en plus abrupt, plus énergique, moins faiseur, moins dans la joliesse et la facilité. J’y vois plus une impossible synthèse de Bach et de Monk. L’équilibre est parfait entre les trois instrumentistes, aussi efficaces les uns que les autres. Le pic du festival.

vendredi 1er novembre :
1/ Mystère Trio (Toulouse) : Cyril Salvagnac (g), Christophe Gruel (g), Laurent Meyer (dm, perc).
D’excellents guitaristes, très techniques, dans un répertoire manouche, balkanique, salsa, bossa, mais desservis par un batteur tape-dur. Leur Softly As In A Morning Sunrise évoque plus une course de taureaux sur l’autoroute qu’un lever de soleil californien…
2/ Omar Sosa Octet (Cuba) : Omar Sosa (p), Martha Galarraga (Yoruba voc), Terence Nicholson (rap, spoken words), Eric Crystal (as, ts, ss), Childo Manchanguela (el-b), Gustavo Ovalles, Miguel Rios Puntilla & Javier Campos (dm, perc).

Omar Sosa (Ph. Fréchet)

Un pianiste fou (sorte de synthèse entre Cecil Taylor et Dollar Brand), hilare et facétieux, qui semble être assis sur un nid de fourmis rouges et martèle son clavier comme s’il en voulait personnellement à M. Steinway et ses fils… Un saxophoniste (alto, ténor et soprano) qui souffle comme le Gato lui-même (à sa grande époque), un bassiste reggae, trois percussionnistes omniprésents pareils aux ’’Medecine Men Of Rhythm’’ de l’Arkestra du regretté Sun Ra, une chanteuse pas toujours indispensable et un jeune rappeur surajouté… L’ensemble très festif et d’un lyrisme chaleureux, débridé et communicatif.

samedi 2 novembre 2002 :
1/ Maneggio (Marseille) : Perrine Mansuy (p, comp), François Cordas (ss, comp), Nicolas Calvet (tu), Thomas Gouband (dm).
Cette formation très originale créée par la pianiste et compositrice Perrine Mansuy offre une musique intimiste, particulièrement recherchée et créative, qui convoque tout à la fois Ravel, Milhaud, Monk, Coltrane et Kurt Weil. On dirait d’une boîte à musique, d’une toute petite fête foraine à l’ancienne, d’un théâtre de poupées de porcelaine qui s’animeraient et se mettraient à valser doucement, à tanguer tango, un petit cirque de poche un peu triste, presque vide, habité de la même tendresse un peu décalée, légèrement ironique, qu’une Carla Bley ou un Willem Breuker, sans la foule.

Nicolas Calvet (tu), de Maneggio (Ph. Fréchet)

L’association des sonorités du saxophone soprano et du tuba (l’acidité du citron vert sur le velours d’un magret), tout à fait unique, est une véritable réussite. (On aurait seulement préféré le percussionniste habituel du groupe au batteur appelé à la rescousse.)

2/ Louis Winsberg Jaleo : Louis Winsberg (el-g, synth-g, oud, el-sitar, mand), Jean-Baptiste Marino (ac-g), José Montealegre (voc, palmas), Isabel Pelaez (voc, danse), Miguel Sanchez (perc, palmas), Nantha Kumar (voc, perc), Jean-Christophe Maillard (kbd, saz, voc).
Et nous voilà repartis (encore une fois) pour un « voyage imaginaire » : de l’Inde à l’Espagne, des Balkans à l’Afrique du Nord - c’est la mode, vous disais-je… Hélas, cette rencontre demeure artificielle, plus démonstrative que convaincante. Si la qualité de chaque instrumentiste n’est pas à remettre en cause, l’ensemble n’est qu’une cohabitation, une juxtaposition sans unité, un collage factice. L’impressionnante lutherie de Winsberg, superbe et sophistiquée, est plus esthétique qu’intéressante musicalement ; les effets et les « trucs » sont exploités jusqu’à plus soif, dans des longueurs insupportables (ainsi de cette danse flamenca interminable, avec trépignements frénétiques des talons sur un plancher qui n’en demandait pas tant, sur fond de palmas et de tablas) et le synthétiseur est complètement superflu (jamais autant que lorsqu’il vient abîmer un cante jondo magnifiquement poignant). Dommage, le festival aurait mérité une meilleure conclusion.