Scènes

Souillac en Jazz 2002

un beau festival d’été


Créé en 1976 par Sim Copans, ce
festival en est donc à sa 27e édition, ce qui n’est pas négligeable…
Animée depuis quelques années par Robert Peyrillou, entouré d’une équipe d’une
fort sympathique vingtaine de personnes (des profs, un médecin, des psychologues,
un industriel, un éducateur, une comptable, un directeur d’ANPE…) tout au long
de l’année (auxquelles viennent s’ajouter une autre vingtaine de bénévoles pour
la durée du festival), cette manifestation est désormais bien implantée et dans
sa région et dans le paysage jazzistique français (consulter leur très beau
site sur www.souillacenjazz.net).

Le site, en plein air lorsque
(comme ce fut le cas cette année) le temps le permet, est magnifique :
une vaste place bien aménagée, adossée à une abbatiale aux allures romano-byzantines,
accueille un millier de chaises, cerné par des stands sous toile (boutique du
festival, stands de livres et de disques, bar). Au fond de la scène, sur le
rideau noir, est accroché l’original de la toile du peintre gersois Jean-Claude
Bertrand ayant servi pour l’affiche du festival 2002.

Cet artiste plasticien (<a
href="http://www.jazzpainting.com/">www.jazzpainting.com) a aussi réalisé
une série d’œuvres sur plexiglass qu’il nomme « musicogrammes » -
conçus comme « des sortes de partitions, matériau utilisable seul ou en
groupe, interprétable par des musiciens, des poètes ou des chorégraphes comme
support à leur improvisation, chacun pouvant les lire à sa manière, avec sa
culture et son langage » et sur lesquels Archie Shepp avait eu l’occasion
d’improviser voici quelques mois en Alsace - et une série de toiles intitulées
« En écoutant… » et consacrées chacune à un musicien différent, comme
celle qu’il a dédiée à Éric Truffaz (cf. photo S3). C’est également lui l’auteur
de « En écoutant MER de Jack Kerouac », série de peintures sur céramique
qui accompagne les tirages de tête du CD-livre MER - Bruits de l’Océan Pacifique
à Big Sur
(Jack Kerouac / Enzo Cormann / Jean-Marie Machado) publié récemment
par le label Escotatz ! de Bernard Froidefond (cf. notre chronique parue le
…).

En apéritif du festival, le mercredi
17 juillet
, le cinéma local avait programmé, à la demande de Robert Peyrillou,
le film Swing de Tony Gatlif. Un beau film, très touchant, malgré quelques
maladresses, traitant tout autant du jazz manouche que des thèmes comme la découverte
de l’amour chez de jeunes adolescents, la rencontre interculturelle, la séparation,
l’amitié dans la passion pour la musique…

Jeudi 18 : malgré
l’enthousiasme du public, je n’ai pas été convaincu par le « Ladyland »
d’Éric Truffaz, trompettiste un peu trop influencé par Miles (même son
fêlé, même lyrisme stellaire et aérien de la période post-jazz-rock), accompagné
par un batteur qui ne fait pas dans la dentelle (Philippe Garcia, qui
peut devenir intéressant quand il concocte des percussions vocales au mégaphone
séquencé), un guitariste fin et acéré comme un acupuncteur qui vous planterait
ses aiguilles (Manu Codjia), un contrebassiste desservi par un ampli
défaillant et une sono mal réglée (insistant lourdement sur la grosse caisse
dont Garcia abuse volontiers et qui couvre toutes les basses) : Michel
Bénita
, qui malgré tout nous livre un superbe solo (avec séquenceur). C’est
finalement (mais tardivement, hélas) Mounir Troudi, le chanteur et percussionniste
tunisien, qui nous sauve des sables de l’ennui dans lesquels on s’enlisait inexorablement.
Avec lui et sa voix unique, le concert prend enfin son envol vers des espaces
plus chaleureux.

Vendredi 19, le remuant
septet « Fidelidad » de Carlos Maza envahit la scène. D’origine
chilienne, réfugié d’abord en France, puis à Cuba, Carlos a été « découvert »
par des amateurs de jazz avertis (Dominique Lafitte de Terrasson en Dordogne,
où réside encore le père du pianiste et Jean-Michel Leygonie de jazz en Limousin)
et Robert Peyrillou a été le premier à le programmer dans un festival en 1993,
au piano solo, en première partie de Portal. Il avait 17 ans et avait fortement
marqué tous les auditeurs. Neuf ans plus tard, il laisse des impressions mitigées :
polyinstrumentiste prodigieux et volubile (piano, flûtes, guitare à 10 cordes,
charango, saxophone soprano…), il peut sembler aussi un peu superficiel par
sa tendance à s’éparpiller, bondissant d’un instrument à l’autre, sans jamais
vraiment aller jusqu’au bout de son propos ; se réclamant de Hermeto Pascoal
et d’Egberto Gismonti, il fait parfois plutôt penser à une sorte de Stravinsky
latin-jazz dans son écriture, certaines harmonies et l’équilibre piano/cuivres ;
tandis que, pour les uns, Maza nous offre une belle leçon d’humanisme et de
fraternité, pour d’autres, l’humour un peu pagailleur et juvénile de la troupe
passe pour des simagrées inutiles et presque ridicules…  

Samedi 20 :

Dans l’après-midi, j’eu l’honneur
d’animer une table ronde, avec plusieurs invités autour d’Archie Shepp, sur
le thème « Jazz et revendication » (cf. encadré).  

Le soir, deux concerts successifs :
Baptiste Trotignon (p) en trio avec Clovis Nicolas (b) et Tony
Rabeson
(dm). Arrivé un peu en retard, j’ai été surpris de constater la
concentration attentive du millier de personnes rassemblé devant cette musique
tout en douceur, d’une grande finesse, en catimini presque, délicate et « fluide »
(tel est le titre de son premier album qui lui valu l’an dernier à la fois le
Prix Django Reinhardt du « meilleur musicien français de l’année »
et le Django d’Or de l’ « espoir pour un premier disque »).

Ensuite, le maître Archie Shepp
(as, ts, p, voc), entouré de Cameron Brown (b) et Ronnie Burrage
(dm), recevait la grande prêtresse Amina Claudine Myers (p, voc), pour
un concert éblouissant. Venus du gospel pour l’une, du blues (et du Rhythm’n’Blues)
pour l’autre, ils ont tous deux vécu (survécu à ?) la fantastique aventure
du free-jazz, avant de fusionner leurs expériences respectives dans le creuset
d’un jazz toujours neuf, fort à la fois de leur attachement à leurs racines,
de la richesse de leur parcours et de leur goût toujours vif pour l’inouï. Les
occasions de voir ensemble, sur la même scène, la pianiste-vocaliste et le saxophoniste-poète
sont suffisamment rares pour souligner la chance que nous avions ce soir-là.