Chronique

Jean-Charles Richard Trio

Traces

Jean-Charles Richard (ss, bs, bansuri), Peter Herbert (b), Wolfgang Reisinger (dms).

Label / Distribution : Abalone / L’Autre Distribution

Coup de cœur ! Publié sur le label Abalone, Traces est un disque qu’on recommandera chaudement et sa puissance d’évocation comme sa force de frappe en font naturellement un « élu » Citizen Jazz.

Les premières mesures de « Tumulte » ne laissent pas de place au doute, c’est le moins qu’on puisse dire : le saxophone baryton, qui fonce sur nous tel un ogre affamé, est la promesse d’un disque vigoureux, inspiré et musculeux dont chaque fibre est nourrie par un grand appétit de musique et de rythme. Jean-Charles Richard, qu’on définira volontiers comme un aventurier, campe d’emblée son décor nerveux, épaulé par le duo rigoureux Peter Herbert (contrebasse) et Wolfgang Reisinger (batterie). Armé d’une formidable complicité et d’une large palette de couleurs, ce trio est explosif. Il y a de l’engagement dans l’air ! Et les surprises, toujours bonnes, se succèdent, définissant une identité sans cesse en mouvement, riche d’inspirations multiples mais formant un tout parfaitement homogène : Traces marque la volonté du saxophoniste d’être plus que jamais lui-même et de laisser une empreinte bien nette. Le pari est gagné, haut les anches !

On ne reviendra qu’à grands traits sur le parcours de Jean-Charles Richard, formé à l’école du classique comme à celle du jazz, qui a choisi de se consacrer au soprano et au baryton. Il s’est produit aussi bien au sein d’orchestres classiques (Orchestre de Paris) que de big bands (Antoine Hervé, Jean-Loup Longnon) ou dans l’univers de la musique contemporaine (Stockhausen), quand il n’investit pas celui de l’humour musical (les DéSAXés). Ses collaborations multiples l’ont amené à côtoyer – la liste est bien loin d’être exhaustive – Dave Liebman, Didier Levallet, Claudia Solal, Daniel Humair, Christophe Marguet, Marc Buronfosse, Guillaume de Chassy, Jean-Marie Machado, David Patrois… Remarqué par un premier disque en solo (Faces, 2006), il mène donc aussi un trio, qui se matérialise aujourd’hui sous la forme de ces belles Traces. Jean-Charles Richard est par ailleurs très impliqué dans l’enseignement de la musique (au sein du Conservatoire à Rayonnement Régional d’Île-de-France). Pour achever ce portrait rapidement esquissé, rappelons ce que disait de lui Louis Sclavis : « Jean-Charles passe d’une formidable maîtrise instrumentale à une maîtrise de sa musique ». L’essentiel en une phrase…

Au-delà de la force intérieure qui l’habite, Jean-Charles Richard est un artiste qui sait varier les climats, toujours à la recherche de pistes nouvelles et de territoires à conquérir, sans pour autant élaborer un assemblage hétéroclite. On voit – ou plutôt on écoute, et avec la plus grande attention – se dessiner des paysages variés ; d’étape en étape le trio redistribue les cartes, mais sans nous perdre en route : au contraire, en avivant notre curiosité. Une formation unie, un triangle équilatéral tracé avec grâce.

Traces est une addition un peu magique qui mérite d’être détaillée : c’est la puissance compacte de « Tumulte », où éclate la mécanique implacable d’un trio à l’homogénéité impressionnante, c’est la conversation impromptue et vive de « Wiener », démonstration d’une écoute maximale entre les musiciens, ce sont les échappées belles du soprano sur « Misfit-Bandit », poussé au lyrisme de son chant par une rythmique gourmande, ou encore les vertiges quasi célestes du « Reliquaire du bonheur » et les cercles hypnotiques d’un archet magnétique ; c’est la pulsion douce qui soulève une « Neige grave », dans un bel exercice d’équilibre du trio ; c’est la terre lointaine et désertique de « Bengalis » et son atmosphère étale où le saxophone cède la place au bansuri (flûte traversière indienne) pour un dialogue enchanté avec la contrebasse ; c’est l’évocation poignante de quelques « Myosotis » que conte un baryton au son granuleux, et l’ensorcelant « Nader » aux inflexions orientales, pour l’ascension d’un nouveau sommet, juste avant d’atteindre un mystérieux « Firmament », tout en immobilité flottante et atonale, dans la répétition spectrale d’une seule note. En signe d’au revoir – mais certainement pas d’adieu – « Trait-attrait » vient ponctuer l’album d’une ultime conversation à trois, entre fougue et improvisation.

Avec ces Traces si bien nommées, Jean-Charles Richard s’affirme comme l’un des acteurs les plus vivifiants de la scène jazz européenne, doublé d’un improvisateur et d’un saxophoniste éclatant, aussi bien au soprano qu’au baryton. Encore une fois, on se demande s’il n’aurait pas été plus juste d’employer le terme d’empreintes, tant la marque de ce disque est forte et durable. Traces est un grand album qu’on n’en finit pas d’écouter, un beau voyage pour lequel on repart sans cesse.