Chronique

Eric Löhrer, Jean-Charles Richard

L(EG)ACY

Eric Löhrer (g), Jean-Charles Richard (ss, bs)

Label / Distribution : Subsequence

Steve Lacy a photographié les musicien·nes de jazz au début des années cinquante à New-York, preuve de son immense acte d’amour envers cette musique. Cela l’a rapidement conduit à pratiquer le saxophone soprano, devenant ainsi le premier à s’y consacrer pleinement après Sidney Bechet. Profondément marqués par l’originalité de ce musicien majeur du XXe siècle, Eric Löhrer et Jean-Charles Richard célèbrent sa mémoire en publiant cet instantané, L(EG)ACY.

Le choix des morceaux est judicieux : en plus de deux compositions d’Eric Löhrer et d’un traditionnel, cinq perles issues de l’œuvre lacyenne côtoient deux personnages déterminants dans la carrière artistique du sopraniste. Tout d’abord Cecil Taylor qui, avec « Louise », laisse libre cours à la notion de swing, juste avant l’arrivée des déflagrations du free jazz. Ici, la guitare d’Eric Löhrer répond avec inventivité au phrasé aérien de Jean-Charles Richard, le blues transparaît en filigrane et la décontraction avec laquelle le thème se développe demeure étonnante. L’âme de Thelonious Monk, éternel inspirateur de Lacy, est présente avec son cheval de bataille « Evidence », mais c’est « Bright Mississippi » qui témoigne le mieux de l’interaction vivifiante du duo. Le baryton esquisse des pas de danse avec la guitare électrique.

La plume inventive du saxophoniste américain est évoquée avec « Retreat », parsemé par les explorations cristallines du guitariste qui apporte un soutien à l’énonciation vocale de Jean-Charles Richard. Les mélodies se répandent avec une rare délicatesse, proches du goût du mystère que cultivait Steve Lacy. « Esteem » n’échappe pas à l’expérimentation menée par un Lacy infatigable inventeur de sons, en particulier dans les années soixante-dix. Constamment éveillées, les incursions décisives de la guitare abordent des labyrinthes secrets et bousculent les diverses sonorités électriques. Quant à l’intonation poétique qui prévaut dans « Art », elle révèle l’attrait de cette composition, désormais devenue un standard éblouissant.

A l’image de l’introspection troublante d’« Insomnia », L(EG)ACY révèle des champs exploratoires infinis, hérités de la somme musicale que nous a léguée Steve Lacy. Cette investigation féerique abordée par Eric Löhrer et Jean-Charles Richard vient de donner naissance à un album mirifique.