Chronique

Wolfgang Reisinger

Refusion

Dave Liebman (ss, ts, fl), Marc Ducret (g), Matthew Garrison (elb), Jean-Paul Céléa (b), Wolfgang Mitterer (elect), Wolfgang Reisinger (dm, perc)

Label / Distribution : Universal

Après trois albums salués par la critique (World View, Missing a Page [1] et Ghosts [2]), le très attendu trio Céléa-Liebman-Reisinger est de retour. Réunis au sein d’une des formations les plus marquantes de la scène européenne de ces dix dernières années, ces trois piliers incontournables du jazz contemporain proposent ici une orientation musicale assez différente, cette fois-ci conçue et produite par Wolfgang Reisinger.

Le batteur autrichien (figure marquante du jazz européen qui a débuté avec le Vienna Art Orchestra) n’a pas fini de nous surprendre. Cet album porte un nom qui coïncide à merveille avec la couleur du projet ; en effet, il s’agit bel et bien d’une fusion de la matière sonore à l’état brut, éminemment malléable, mais aussi des styles et des innombrables possibilités permises par les effets électroniques dont il use à merveille. Comme ce domaine ne lui paraissait pas suffisant pour ce sextet des plus originaux (sans doute pour se concentrer d’avantage sur sa batterie), il fait appel à Wolfgang Mitterer aux effets électroniques, qui fait de cet univers un instrument à part entière en colorant chaque composition par des bruitages en tous genres. Pour renforcer le côté « électrique », il était assez logique d’inviter Marc Ducret (dont les chorus en disent toujours long en idées et maîtrise technique). Ce dernier signe un long morceau très évolutif (« Urgence ») [qui parlera sans doute aux fans du guitariste], où l’on apprécie le côté rock mêlé à la puissance du phrasé de Dave Liebman. Le saxophoniste - qui, décidément, ne se lasse jamais des rencontres - apporte trois titres : « Off and Off », « Pastorale » et « For Dave », co-signé par Miles Davis. On reconnaîtra d’ailleurs l’univers électrique de son inventeur tel qu’il a su le développer dans les années 70, mais réadapté à la musique d’aujourd’hui, 40 ans après la naissance d’un courant qui tapé dans l’oreille de bon nombre de musiciens. L’adjonction des artifices électroniques sur l’ensemble des plages fait de cet album un objet aux multiples facettes, construit comme une œuvre d’art aux différentes couleurs et reliefs (les graphismes très modernes du livret en sont l’illustration). Cette matière sonore, dont chaque musicien est responsable, se présente comme une masse d’énergie inquantifiable que Jean-Paul Céléa (contrebasse) et Matthew Garrison (basse électrique) savent porter haut. On sent l’attention portée à la structure de chaque pièce, mais aussi à celle de l’album, qui se découpe en quatre parties. L’introduction (« Play Up ») et la conclusion (« Don’t Touch It ») résument bien ce voyage dans un espace musical inconnu, intemporel, où personne ne s’est jamais aventuré.

L’instrumentation de ce sextet est peu ordinaire, pour une musique qui est difficilement étiquetable, comme l’était la dernière période de Miles. Il ne s’agit pas ici de copier ce courant, mais de le revivre collectivement de manière moderne ; les intervenants trouvent leur place naturellement et il est difficile de distinguer l’ingéniosité musicale de chacun tant la synergie est réussie ; à écouter de toute « Urgence »…

par Armel Bloch // Publié le 22 septembre 2008

[1Label Bleu

[2Owl