Chronique

Jeanfrançois Prins

Blue Note Mode

Jeanfrançois Prins (g, voc), Danny Grissett (p), Jay Anderson (b), E.J. Strickland (dms), Jeremy Pelt (tp), Jaleel Shaw (as).

Label / Distribution : GAM Records

C’est un disque venu d’ailleurs, d’un autre temps. C’est du moins l’impression qu’il laissera après une première écoute. On ne connaît pas forcément très bien le guitariste producteur belge Jeanfrançois Prins [1], qui a beaucoup œuvré par le passé entre Berlin et New York [2], et dont on découvrira avec plaisir l’univers tout au long de Blue Note Mode, son huitième album en tant que leader ou coleader. Voilà en effet un disque qu’on aurait bien du mal à dater ! De quel espace-temps provient donc cet enregistrement aux couleurs vintage qui sonne comme aux plus belles heures d’un hard bop estampillé années 60 ? Son titre explique l’état d’esprit régnant tout au long de ses 80 minutes qui déroulent avec élégance compositions originales et reprises (Thelonious Monk, Wayne Shorter, Clifford Brown…). Tout cela s’est joué dans un temps court, avec un maximum de deux prises enregistrées en deux jours, imposant aux musiciens une contrainte heureuse, dans le cadre mythique des studios Van Gelder, haut lieu du jazz des années 60 et 70 et des labels Verve, Blue Note, Prestige, Impulse ! et CTI.

De fait, le guitariste parvient à restituer au plus près l’ambiance d’une époque qui n’en finit pas de fasciner par-delà les années. Pourtant, aucune nostalgie ne semble sous-tendre le scénario d’une musique servie par un quartet impétueux (Danny Grissett au piano, Jay Anderson à la basse, E.J. Strickland à la batterie) augmenté de la trompette de Jeremy Pelt et du saxophone alto de Jaleel Shaw. Savourons le le climat rassérénant qui règne tout au long de l’album et un état de disponibilité totale de la part des musiciens à l’égard d’un répertoire aux couleurs intemporelles. Et si Jeanfrançois Prins endosse le costume du leader pour mener à bien son projet, il accorde une grande place à ses partenaires pour administrer une belle « leçon de jazz », dans les règles de l’art d’un langage combinant à chaque instant rigueur, attention et liberté, selon un schéma que certains veulent parfois croire éculé (thème, chorus, thème).

Alors, est-il bien raisonnable de vouloir aujourd’hui sonner à ce point comme avant ? Si la question est légitime, la réponse fournie par le guitariste est sans appel : cette pulsation qui traverse Blue Note Mode de part en part est celle de cœurs battant très fort pour une cause musicale dont la flamme, si belle, doit être entretenue avec amour coûte que coûte. C’est une très belle déclaration.

par Denis Desassis // Publié le 31 mars 2024
P.-S. :

[1Notons bien que son prénom s’écrit en un seul mot.

[2Notamment aux côtés de Lee Konitz auquel il rend d’ailleurs ici un hommage conjoint à celui d’un autre grand, Ornette Coleman à la faveur d’une composition intitulée tout simplement « Ornette-Lee ».